Libre-R et associés : Stéphanie - Plaisir de lire

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Megan Kruse : De beaux jours à venir

De beaux jours à venir de Megan Kruse     4/5 (19-06-2016)

 

De beaux jours à venir (384 pages) sort le 25 août 2016 dans la collection  Denoël  et d’ailleurs aux  Editions Denoël (traduction : Héloïse Esquié).

 

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L’histoire (éditeur) :

 

Depuis des années, Amy subit la violence de Gary. Jusqu’au jour où elle reçoit le coup de trop et décide de s’enfuir avec ses deux enfants, Jackson, dix-huit ans, et Lydia, treize ans. Premier arrêt au Starlight, motel crasseux qui va leur servir de refuge. Tous les trois s'endorment sereins et soulagés, mais au petit matin Jackson a disparu. Croyant gagner l’amour d’un père qui le rejette, il est retourné chez eux et a trahi sa mère et sa sœur en révélant à Gary l’adresse du motel. Amy se rend alors à l’évidence : si elle veut assurer sa sécurité et celle de Lydia, elle va devoir abandonner son fils. Cette séparation brise le cœur de la petite fille, très attachée à ce frère doux et différent. Jackson, de son côté, doit désormais se débrouiller seul, tiraillé entre la recherche désespérée de l’amour paternel, sa culpabilité et sa difficulté à gérer son homosexualité naissante.

 

Mon avis :

 

Voilà un très beau roman de cette rentrée littéraire 2016, difficile et sombre  mais finalement plein d’espoir et d’amour.

 

Lydia 13 ans et sa mère Amy ont quitté la maison familiale  et, aidées par des associations de femmes battues, tentent de se reconstruire (et avant tout de refaire leur vie sans que Gary, mari violent, ne les retrouve). Jackson, 18 ans, écarté de leur fuite, a fini lui aussi par quitter Tulalip. Depuis, il erre, se prostitue, vit dans des squattes et des refuges jusqu’à ce qu’il trouve un petit emploi dans le Montana.

Entre la peur constante des unes que Gary ne finissent (comme toujours) par les retrouver et la culpabilité de l’autre (de na pas avoir été à la hauteur), le récit progresse empreint d’une tristesse incroyable et d’une puissance tranquille. Raconté à trois voix et mêlant passé et présent, De beaux jours à venir  nous plonge dans la vie de la famille Holland, nous donne l’occasion de  comprendre ce que ces trois victimes de violences familiales vivent à leur niveau et  permet de percevoir avec une grande sensibilité leurs états d’âme, leur doutes et leurs culpabilités.

 

 « C’était comme si je m’étais endormie et que je m’étais réveillée dans un paysage de sècheresse extrême, plus vieille, avec un autre nom, et sans mon frère. Je me suis mise à rêver que mon père nous poursuivait. Ces nuits-là, j’ai appliqué toutes les techniques que je connaissais. Pour disparaître réellement, vous devez tout changer. Oubliez vos habitudes. Choisissez une autre vie. Comprenez que votre ancien « vous » n’est plus et ne reviendra jamais. Je me le répétais encore et encore : Je m’appelle Lena Harris, j’ai treize ans, je vis seule avec ma mère, ici présente, depuis le jour de ma naissance. » Page 86

 

« Elle avait tellement l’habitude de considérer Lydia comme la petite, comme un bébé. A présent, en les observant tous les deux, elle vit soudain sa fille plus vieille, telle qu’elle allait devenir. Telle qu’elle était – une fille de treize ans, treize ans à peine, lais tout de même. D’un instant à l’autre, se dit-elle, Lydia va être adulte, et elle repensera à tout ça. Elle racontera l’histoire de cette époque, et de son père, et ce sera son histoire. Et que pensera-t-elle de moi ? dans son cœur, que pensera-t-elle de la vie que je lui ai donnée ? » Page 115

 

J’ai trouvé ce texte particulièrement fort. Le côté intime de la narration autant que la connexion qui existe entre les membres de cette famille m’ont beaucoup touchée. Dès les premières pages déjà, Lydia a conquis mon cœur et m’a bouleversée. Ses mots ont fait mouche. La suite, plus complexe et intrigante, s’est révélée poignante mais  moins brutale que je ne le craignais.

J’ai été tout du long dans l’attente de voir  Jackson, Lydia et leur mère réunis et heureux, totalement immergée dans leur vie et fidèlement accrochée  à la prose de Megan Kruse, rurale, violente, précise et belle.

 

Attentive  à la personnalité de chaque personnage (à son vécu, sa mémoire et son identité), elle construit des portraits complexes et des personnages très attachants, qui s’éclairent les uns les autres. De beaux jours à venir devient alors l’histoire de l’individu et celle de la famille. Une histoire finalement lumineuse qui parle de choix et de volonté de guérir et  s’en sortir. 

 

 

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Quand les lecteurs de Babelio rencontrent Megan Kruse le 19 septembre 2016

 

Un premier roman très personnel

Megan Kruse a commencé par saluer la couverture choisie par son éditeur français, qu’elle juge plus réussie que celle de l’édition originale américaine. Elle apporte une précision : De beaux jours à venir est son premier roman publié, mais elle en avait écrit deux auparavant, qui selon elle ne menaient à rien, et qu’elle a préféré mettre à la poubelle. Dans celui-ci, elle a mis toute son identité, et avant d’être publiée, elle se disait que si elle ne trouvait pas d’éditeur, elle n’en écrirait pas d’autre, car elle ne voyait pas comment elle pourrait faire mieux.

Si elles n’étaient pas publiables, ses deux premières tentatives s’attaquaient toutefois aux mêmes thèmes que De beaux jours à venir, qui lui tiennent particulièrement à cœur : Qu’est-ce qu’un foyer ? Dans quelles conditions peut-on dire qu’on est « chez soi » ? Et comment trouve-t-on cet endroit lorsque l’on est homosexuel dans un milieu rural conservateur et qu’on sait qu’on va devoir partir ?

Le livre est né sous la forme d’une nouvelle, autour du personnage de Jackson, vivant dans un campement à proximité d’un chantier. Au fil de l’écriture, le personnage a pris de l’importance, et le texte s’est développé naturellement autour de lui, pour devenir progressivement  un roman. Elle a suivi la voix de Jackson, pétrie de culpabilité, et la nécessité d’autres voix autour de la sienne a donné naissance aux autres personnages, qui sont apparus dans les failles, les lacunes de Jackson. Megan Kruse est entrée en résonance avec les voix du roman qui renvoient à différentes parties de son identité, sous des modalités distinctes : la voix de Lydia vient du plus profond d’elle-même, tandis que celle de Jackson est plus celle de la chronologie de l’histoire.

Interrogée sur la part de fiction et d’expérience vécue dans le roman, l’auteur répond par un pied de nez : « Tout est vrai dans le livre, sauf ce qui ne l’est pas… » Son processus d’écriture consiste à s’appuyer sur le matériau brut qu’est sa propre vie, sur ses observations. Jackson et Lydia sont nés de son expérience, mais ne sont pas calqués sur des personnes réelles. Amy, en revanche, a été influencée plus directement par une femme rencontrée dans un centre d’aide aux violences domestiques.

La construction alternée de ce récit à deux voix s’est faite dans un second temps. Elle a commencé par les passages narrés par Jackson. Elle a écrit différents pans de l’histoire, comme des vignettes, et les a réarrangés a posteriori pour bâtir une chronologie. Elle voyait ces vignettes comme des fenêtres sur la vie des personnages, en espérant que de leur juxtaposition naîtrait un roman.

Lorsqu’un lecteur lui demande pourquoi le personnage du père abusif est le seul dont le point de vue est absent du livre, Megan Kruse répond que donner une voix à un personnage, c’est forcément inviter à l’empathie. Et que ce type là ne le mérite pas. Elle ne souhaitait pas qu’on le comprenne. Pas d’empathie pour les responsables de violences domestiques.

La question centrale du roman est celle de la famille. Qu’est-ce qu’une famille ? Megan Kruse a grandi dans une famille qu’elle détestait, elle se sentait étrangère à son environnement, avec une irrépressible envie d’en partir. Elle avait alors la conviction qu’à un moment donné, la vie lui montrerait d’elle-même le chemin, l’endroit où elle se sentirait enfin chez elle. En vieillissant, elle a réalisé que le sentiment d’avoir un foyer n’était pas nécessairement quelque chose de fixe, un lieu entre quatre murs. Mais qu’il dépendait bien plus des gens dont on s’entoure.

 

Une nature omniprésente

Un lecteur souligne que les scènes clés du roman se tiennent toutes au bord d’une rivière. Ce n’est pas un choix conscient de l’auteur. Le roman prend place dans le Nord-Ouest des Etats-Unis, et Megan Kruse rappelle qu’ « il y a de l’eau partout, là-bas ». Elle se souvient qu’enfant, ses chaussures étaient couvertes d’une perpétuelle pellicule de moisi, tant ces terres sont humides. Mais cette omniprésence des rivières est une illustration du poids de la nature dans cette région : dans le Pacifique Ouest, il n’y a pas de séparation nette entre l’homme et son environnement, on est peu protégé des éléments. C’est un territoire brut et sauvage. Et c’est un champ ouvert, peu défini. Il y des écrivains locaux, comme Raymond Carver ouDavid Guterson, mais pas de mythologie littéraire comme il peut y en avoir autour de l’Ouest, par exemple. Ce livre est pour Megan Kruse une tentative égoïste de représenter un lieu qu’elle connaît. Un lieu où la nature fait partie du quotidien, où il n’y a pas de frontière nette entre chez soi et l’extérieur. Mais en dépit du ton sombre du roman, elle ne voit pas du tout cette région comme une zone déprimante ou sinistrée. C’est une région magnifique, avec des villes très progressistes et ouvertes d’esprit. Elle souligne qu’il y a aussi beaucoup d’amour dans son roman. Et que de toute façon, quand on traite de la pauvreté, que vous soyez en Oregon ou sous le soleil du Brésil, la réalité est forcément grise.

Poursuivant sur la nature, Megan Kruse explique que la forêt est dans le roman un refuge pour Jackson et Lydia. La nature interagit avec les deux enfants. Ils s’informent l’un l’autre. Et la forêt, qui les préserve de la violence domestique, est finalement plus bienveillante que le monde des hommes.

Le roman se tient dans sa région. Le foyer de Jackson et Lydia, par exemple, a beaucoup de points communs avec celui dans lequel elle a grandi. Mais ce n’est pas un reportage ou un témoignage pour autant : certains lieux ont été totalement inventés. C’est là tout le plaisir de la fiction, qui permet de bâtir des mondes. Elle avait le sentiment d’être autoriseé à décrire certains lieux qu’elle connaît très bien, comme la ville de Missoula, mais a préféré en inventer d’autres pour remplacer ceux qu’elle connaît moins bien.

 

Des thèmes difficiles, mais un regard optimiste

Un lecteur se demande pourquoi Amy, la mère, reste silencieuse face aux violences conjugales dont elle est victime. Megan Kruse explique que dans ce genre de situation, bien souvent, les victimes sont seules, et se refusent à demander de l’aide. Et que paradoxalement, elles sont souvent plus seules encore lorsqu’il y a une famille autour, car elles essayent de la préserver. Pour protéger ses enfants, Amy fait le choix de l’invisibilité. Elle endosse ce fardeau injuste. Elle est la version extrême d’une situation extrême.

Le personnage de Jackson, lui, ne sait que faire de sa colère, contre son père, mais aussi contre sa mère. Lorsqu’on est adolescent, on fait des choses sans savoir pourquoi, c’est comme ça que l’on devient adulte. Sa réaction, lorsqu’il trahit sa mère dans le roman, est typique d’un adolescent dans cette situation. C’est quelque chose que Megan Kruse décrirait comme une « faiblesse chaotique d’adolescent ». Amy, le laissant faire, lui offre la possibilité de se libérer, d’être indépendant, de cesser de la protéger pour vivre enfin son identité et sa sexualité.

Interrogée sur l’optimisme du titre français, « De beaux jours à venir », Megan Kruse répond que le titre original « Call me home » était difficilement transposable en français. Mais elle aime cet optimisme, qui correspond bien à sa conviction : on finit tous par trouver un endroit qu’on peut appeler « chez soi ». C’est cet optimisme qu’on retrouve dans la dernière scène du livre, avec les retrouvailles des personnages. A l’origine, elle n’avait pas mis cette scène. Le roman s’achevait avec un saut en 2026, où l’on découvrait que chaque personnage avait trouvé son bonheur. Mais son éditrice lui a dit que ce n’était tout simplement pas possible de finir ainsi. D’où les retrouvailles. Et en définitive, elle aime que son roman s’achève ainsi. Les personnages sont ensemble, il s ont réussi, la vie normale peut s’installer. Plutôt que de retourner à leur quotidien, ou de dessiner leur avenir, elle préfère conserver une part d’inconnu, et les abandonner sur cette note claire et lumineuse.

La rencontre s’est poursuivie avec la traditionnelle séance de dédicaces, occasion pour les lecteurs d’échanger directement avec Megan Kruse, qui s’est prêtée à l’exercice avec beaucoup de gentillesse.

 



27/07/2016
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