David Joy : Là où les lumières se perdent
Là où les lumières se perdent de David Joy 5/5 (20-06-2016)
Là où les lumières se perdent (295 pages) sort le 25 août 2016 aux Editions Sonatine
L'histoire sombre, déchirante et sauvage d'un jeune homme en quête de rédemption.
Caroline du Nord. Dans cette région perdue des Appalaches, McNeely est un nom qui fait peur, un nom qui fait baisser les yeux. Plus qu’un nom, c’est presque une malédiction pour Jacob, dix-huit ans, fils de Charly McNeely, baron de la drogue local, narcissique, violent et impitoyable. Amoureux de son amie d’enfance, Maggie Jenkins, Jacob préfère garder ses distances. Il est le dauphin, il doit se faire craindre et respecter, régler les affaires de son père de la façon la plus expéditive qui soit. Après un passage à tabac qui tourne mal, Jacob se trouve confronté à un dilemme : doit-il prendre ses responsabilités et payer pour ses actes ou bien suivre la voie paternelle ? Alors que le filet judiciaire se resserre autour de lui, Jacob a encore l’espoir de sauver son âme pour mener une vie normale avec Maggie. Mais cela ne pourra se faire sans qu’il affronte son père, bien décidé à le retenir près de lui.
Mon avis :
Après, envoyé par son père pour contrôler le boulot de « deux meccanos », avoir dû être le témoin d’un dérapage à l’acide (n’ayant même pas réussi à faire parler la balance), Jacob McNeely (nom qu’il traîne comme un boulet), un peu éméché lorsqu’il se rend à une fête de fin d’études, casse la gueule (à bon compte et surtout de façon bien méritée) au petit copain de Maggie, son amour de toujours. A partir de là (où sans aucun doute déjà bien avant) les choses tournent mal pour Jacob et s’il trouve que la situation craint, le pire reste à venir !
Le dilemme quant à sa situation et son futur va cruellement se faire sentir et peser un peu plus chaque jour.
D’un côté ses parents : une mère toxico et un père baron de la drogue, excellent PDG d’un trafic dans lequel Jacob baigne depuis toujours (à 9 ans, il coupait déjà les portions de Meth la nuit, et dormait le jour sur sa table d’écolier, jusqu’à ce qu’il quitte le lycée à 16 ans).
« Gamin, j’avais gardé en moi comme un trésor ces rares moments où elle était sobre. J’avais toujours espéré qu’elle deviendrait une vraie mère. Mais avec le temps, je m’étais aperçu qu’on ne peut pas donner ce qu’on n’a pas. Elle était ce qu’elle était, une junkie, et on en ne pouvait rien dire ou faire pour la changer la mort serait son seul salut. » Page 18-19
« La méthamphétamine était un corps qui vivait et respirait dans les Appalaches. La came venait du Mexique, mais mon père était le cœur de ce corps ici, et il irriguait toutes les veines de la région. Page 86
De l’autre, Maggie sa meilleure amie et son seul amour…
« Elle ne m’avait pas totalement effacé de sa vie, même s’il ne restait manifestement que peu de mots entre nous, ou alors des mots trop lourds pour que l’u ou l’autre ne les prononce. Elle m’aimait trop pour m’abandonner, et je l’aimais trop pour la tirer vers le bas. Mais ce genre d’amour ne fonctionne pas. » Page 18
« Je pouvais pas supporter l’idée de te retenir ici. Je pouvais pas la supporter à l’époque, et je peux pas la supporter. Tu vaux mieux que cet endroit. T’as toujours valu mieux. Tu regardes ailleurs depuis qu’on est gamins, mais la différence avec toi, c’est que t’as quelque chose qui peut te mener là-bas. T’es assez intelligente pour faire tout ce que t’as toujours voulu faire et assez entêtée pour y parvenir. Mais pas moi, Maggie, je partirai jamais d’ici, et je le sais. Ça fait un putain de bail que j’ai accepté dans quoi j’étais né. Je peux pas y échapper. » Page 86
Obligé de travailler avec son père au garage, que lui reste-t-il ? L’amour de Maggie ? Comment envisager l’avenir avec un tel héritage familial et face à un père violent ?
« Il était impossible d’échapper à qui j’étais, à l’endroit d’où je venais. J’avais été chié par une mère accro à la meth qui venait juste d’être libérée de l’asile de fous. J’étais le fils ‘un père qui me planterait un couteau dans la gorge pendant mon sommeil si l’humeur le prenait. Le sang était plus épais que l’eau, et je me noyais dedans. Je sombrais dans ce sang, et une fois que j’aurais touché le fond, personne ne me retrouverait.
Je me disais que certaines âmes n’étaient pas dignes d’être sauvées.
Il est des âmes auxquelles même le diable ne veut rien avoir affaire. » Page 162
Au début, Jacob était pour moi un looser. Mais entrer dans sa vie et son intimité, saisir ainsi son mal être, ses émotions, ses doutes et ses infimes espoirs m’a beaucoup touchée et m’a fait vivre cette lecture très sombre sous tension. Chaque coup de théâtre m’a donné des palpitations et a fait grossir en moi autant de peine que de rage. Le voir se persuader un peu plus chaque jour d’être le fils de son père (d’avoir dans les veines sa noirceur et sa cruauté) m’a déstabilisée, m’a bouleversée et m’a tenue en haleine jusqu’au bout. J’ai vécu cette lecture remplie d’amertume, avec le souhait, presque vain, de le voir s’en sortir.
David Joy est un conteur de talent. Il réussit à parfaitement exprimer toute la complexité des sentiments de son jeune protagoniste, ce fardeau si lourd qu’il est sur le point de l’écraser et l’impasse dans laquelle il s’enfonce depuis sa naissance.
C’est pesant, stressant, déstabilisant et désolant parce que ce que Jacob, garçon délicat et sensible, est vraiment loin d’être son paternel. Mais la situation rend les choses toujours un peu plus sensible et difficile, d’autant que celle qu’il aime est sur le point de partir, le tirant vers une vie meilleure tout en le laissant conscient que sa vie ne présente aucune issue possible.
« Nous étions tous les deux perdus, mais elle seule avait quelque part où aller. » Page 244
Une chose est sure : rien n’est écrit à l’avance.
Il y a une force croissante dans ce récit que je ne soupçonnais pas en le commençant. Là où les lumières se perdent est un très bon roman noir, un roman puissant qui soulève beaucoup d’émotions !
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