Marina Mander : Le premier vrai mensonge
Le premier vrai mensonge de Marina Mander 3,5/5 (13-08-2013)
Le premier vrai mensonge (199 pages) est paru le 22 août 2013 aux Editions Presses de la Cité.
L’histoire (éditeur) :
Agé d'une dizaine d'années, Luca vit seul avec sa mère et son chat Blu. Lorsqu'un matin, sa mère ne se réveille pas, le petit garçon, affolé à l'idée qu'on puisse l'envoyer dans un orphelinat, décide de taire sa mort et de continuer à mener une existence en apparence normale. C'est son premier vrai mensonge. L'histoire qu'il livre au monde extérieur est si bien ficelée qu'il finit par se convaincre qu'il n'est pas orphelin.
Entre cruauté – celle d'une situation tragique – et légèreté – celle de l'enfance –, ce roman poignant est porté par son narrateur, Luca, un personnage inoubliable. Empreint de fraîcheur et d'inventivité, regorgeant d'expressions et de jeux de mots, son parler, véritable rempart contre la réalité, laisse sans voix.
Mon avis :
Décidément, entre Petites Scènes capitales, Sauf les fleurs et Le premier vrai mensonge, la rentrée littéraire 2013 m’aura fait enchaîner les lectures où l’enfance tient le rôle majeur et où la sensibilité met la barre haute.
Dans Le premier vrai mensonge, Luca « orphelin à moitié » vit avec son petit chat Blu et sa maman, fragile, un peu absente par moment, dépressive sûrement mais bien vivante, dans leur appartement au 7ème étage. Un matin, elle ne se réveille pas. Luca, pensant que les médicaments qu’elle prend l’ont sans doute assommée, la laisse dormir et part à l’école. A son retour, maman n’a pas bougé et le doute le gagne un peu. Et si elle ne se réveillait pas ? Et si elle était morte ? Le désir de croire qu’elle ne fait que dormir est là, mais l’appartement est bien trop silencieux pour Luca et elle n’a toujours pas touché à ses pommes cuites qu’il lui a préparées.
Parce que la plus grande peur de Luca, qui n’a déjà pas de père (même si maman a bien essayer de le remplacer maintes et maintes fois), est de finir à l’orphelinat, il décide de faire comme si elle allait se lever (un jour peut être…) et de continuer à vivre normalement. Sa priorité est donc de ne pas éveiller l’intérêt de son entourage, rester discret et tromper les apparences. Et tant pis pour la tristesse ! Alors il continue à suivre les cours, à fréquenter ses camarades (qu’il invite même chez lui), à rêver de son amoureuse Antonella, à nourrir le chat, à se changer (et se laver de temps en temps)…Les ressources pour lui et Blu s’amenuisent, tout comme les quelques pièces de monnaie trouvées çà et là, mais Luca est malin et se débrouille. Tandis que sa mère se décompose doucement dans la chambre où l’odeur devient de plus en plus épouvantable, il mène sa vie comme il peut et bascule de plus en plus souvent dans l’imaginaire (entre conversation avec son chat, soin apporté à sa maman : maquillage, anniversaire, couverture quand elle se refroidit…)
« Qu’est-ce que je fais ? Je devrais peut être la coiffer, il vaut toujours mieux être bien peigné. Qu’est-ce que je fais ? Est-ce que j’attends encore un peu ou est-ce que je demande de l’aide tout de suite ? Je ne peux pas demander de l’aide. Si maman est morte, je ne peux le dire à personne. Si je le dis, on va ‘emmener à l’orphelinat. »
C’est terrible.
Je ne veux pas y aller.
Je ne veux pas être complètement orphelin.
Tout mais pas ça.
Il vaut mieux dire que maman est partie.
Ou bien ne rien dire, faire comme s’il ne s’était rien passé.
Il vaut mieux arriver à se débrouiller, ça ne doit pas être si difficile. Il vaut mieux essayer de survivre.
Il vaut mieux cacher les choses et sourire.
Il vaut mieux faire travailler son imagination, trouver quelque chose de spécial. » Page 33
Sans avoir de précision sur l’âge de Luca, il n’est pas difficile d’imaginer un bonhomme d’une dizaine d’années. Son récit, bien qu’extravagant, est à la mesure des circonstances et d’une pénible crédibilité. Imaginatif et intelligent, il passe du coq à l’âne dans sa narration, se fait des réflexions sur tout et rien avec toujours à l’esprit les mots de sa maman, ses conseils, ses directives. Entre pensées et souvenirs, son monologue est celui d’un enfant malheureux qui tente coûte que coûte de survivre.
« Quelquefois je pleure si je ne peux vraiment pas m’en empêcher, j’essuie la morve sur la manche d’une vieille chemise. Ça finit par passer, et puis je ne veux pas que maman s’inquiète trop.
Maman. Maman. Maman.
Le souvenir de maman explose de nouveau dans ma tête.
Un geyser de peur. J’ai tellement peur que quelqu’un s’aperçoive de quelque chose.
J’écris sur un bout de papier que je passe à Andrea : Tu sais ce que dit le médecin à un squelette qui va se faire examiner ?
Non, fait-il d’un mouvement de tête.
J’écris sur un autre bout de papier : Vous ne pouviez pas venir avant ?
Du coin de l’œil, je vois qu’il rit.
Sauvé !
Tout va bien. » Page 67
Marina Mander écrit ici un récit aussi doux que douloureux. Le premier vrai mensonge est un roman sinistre et touchant, d’une grande justesse dans la tragédie. Le deuil est abordé à travers les yeux d’un enfant de manière totalement différente, brutale et délicate à la fois. Parce qu’il lui est impossible d’annoncer la mort de sa mère, elle reste présente (peut être autant qu’elle ne l’était avant) dans l’appartement et dans son esprit. Même s’il a néanmoins conscience de devenir un véritable orphelin, et d’être alors différent, il tente de faire bonne figure et surmonte la traumatisme par son besoin de normalité. L’intrigue trouve doucement sa place entre les pensées de Luca et, sans tomber dans le morbide, Marina Mander construit avec lucidité l’histoire d’un gamin rendu trop vite à l’âge adulte.
En bref : une histoire qui marque !
« Je décide donc de faire les même choses qu’avec maman, mais sans elle. Ça ne doit pas être impossible.
Je me dis : c’est simplement comme si j’étais devenu grand. (…) Je ne suis plus orphelin, je suis célibataire.
Ce n’est qu’une question de mots. Les mots, parfois, peuvent même changer les idées et les points de vue. Pour être adulte, il s’suffit d’employer des mots d’adulte, bordel. » Page 150
« Et puis il n’est pas dit que quand on est triste, on a tort de prendre des médicaments, ou que quand on est triste et qu’on a tort de prendre des médicaments, les médicaments empêchent de se réveiller.
Ça arrive d’avoir tort.
Moi aussi un jour j’ai eu tort, je me suis enfoncé un haricot dans le nez pendant que maman épluchait les légumes pour le minestrone. En réalité, je l’avais fait un peu exprès parce que je voulais voir jusqu’où il pouvait s’enfoncer. Et puis j’en avais assez de rester là à la regarder, pendant qu’elle était concentré sur sa cuisine, sans s’intéresser à moi le moins du monde. » Page 137
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