Joyce Carol Oates : Petite soeur, mon amour
Petite sœur, mon amour, l'histoire intime de Skyler Rampike de Joyce Carol Oates 4/5 (19-06-2011)
Petite sœur, mon amour (672 pages) de Joyce Carol Oates est sorti aux éditions Philippe Rey le 7 octobre 2010
L’histoire (éditeur) :
S'emparant d'un fait-divers, un mystère jamais résolu, qui bouleversa l'Amérique - l'assassinat le soir de Noël 1996 de la petite JonBenet Ramsey, six ans et demi, célèbre mini-Miss vedette de concours de beauté -, Joyce Carol Oates reconstruit l'affaire qu'elle n'hésite pas, elle, à dénouer. Une histoire effarante racontée dix ans après par le frère de la victime. La petite fille s'appelle maintenant Bliss, c'est une championne de patinage sur glace, l'enfant adoré de ses parents, la coqueluche d'un pays, la soeur aimée et jalousée par son frère, son aîné de trois ans, Skyler.
Skyler qui, depuis le meurtre, a vécu dans un univers de drogues, de psys et d'établissements médicalisés. Agé aujourd'hui de dix-neuf ans, il fait de son récit une sorte de thérapie. Ses souvenirs sont à la fois vivaces et disloqués. Peu à peu émerge le nom du coupable : est-ce le père - homme
d'affaires ambitieux, la mère - arriviste forcenée, un étranger cinglé ou bien... le narrateur lui-même ? Tous les ingrédients préférés de Joyce Carol Oates sont là : la vanité féminine, la stupidité masculine, la famille dysfonctionnelle, l'angoisse du parvenu, le christianisme de charlatan, les dérives de la psychanalyse, le vampirisme des médias, l'incompétence de la police. Pour produire en fin de compte un chef-d'oeuvre hallucinant, un dépeçage au scalpel de l'âme humaine et de l'horreur ordinaire...
Mon avis :
Voilà un roman pour le moins original dans le style et la construction. Ce n’est plus Joyce Carol Oates mais Skyler Rampike, le personnage principal, qui tient la plume. Dans ce roman, elle disparait totalement derrière le narrateur et lui fait dire des vérités tel un témoignage, ici un peu maladroit et enfantin. L’écriture est parfois dérangeante mais fidèle à la personnalité torturée de ce personnage, qui se définit lui-même d’amateur-narrateur. Construit à la manière d’un document, il regroupe un journal intime, des pièces personnelles (lettres, messages) et une multitude de notes en bas de page laissées par le personnage pour aiguiller le lecteur dans sa lecture.
On en oublie totalement l’auteure au profit de cet anti-héros attachant. Et pourtant, on y retrouve son style si particulier qui restitue à merveille la psychologie de ses personnages. Une écriture efficace qui touche le lecteur, et qui fait de Petite sœur, mon amour un récit magnifique, bouleversant et saisissant.
S’inspirant d’un fait divers qui défraya les chroniques américaines (le meurtre irrésolu de mini-miss-America en 1996), elle utilise la réalité pour sa fiction et propose d’élucider cette affaire par le bais de son personnage. Bien que Petite sœur, mon amour prenne ses sources sur un fait divers, Joyce Carol Oates l’annonce comme une œuvre purement imaginaire utilisant cette énigme criminelle comme la base de son roman. En effet, sur près de 600 pages elle relate la vie des Rampike à l’image de celle des Ramsey, magistralement contée par l’ainé de la victime jusqu’au dénouement final. Dans la triste histoire originale, le meurtre n’a jamais été élucidé et aussi bien les parents que le frère furent soupçonnés. Jusqu’aux dernières pages on est tenté ici d’accuser l’un ou l’autre. Mais la force de la fiction permet à J.C.Oates d’élucider le crime et elle décide ainsi de lever le voile sur les faits.
Sa retranscription des faits et de cette société fait froid dans le dos. A travers ce récit, l’auteure analyse avec beaucoup de finesse la société américaine dans tout ce qu’il y a de médiocre : les adultes manipulateurs arrivistes et avides de reconnaissance sociale, la ferveur religieuse, la sur-médicamentation des enfants et les institutions qui encouragent tout cela.
Entre thriller et drame psychologique, Petite sœur, mon amour est un roman haletant, difficile à lâcher. L’auteure maintient la tension de la première à la dernière page. Comme dans un bon polar, on participe à l’enquête, on cherche, suppose le coupable jusqu’à l’épilogue glaçant. Comme souvent dans les romans de J.C.Oates, on est balloté d’un sentiment à l’autre : la beauté, l’écœurement, la haine, la pitié… mais toujours en restant fidèle au ressenti du personnage. On pénètre instantanément dans le monde de Skyler pour devenir le témoin du drame de sa vie. Une efficacité redoutable !
Pour conclure, je dirai que c'est un bon roman dont je me souviendrai longtemps, comme la plupart des romans de Joyce Carol Oates ! Je l'ai beaucoup aimé, même si j'ai pris pas mal de temps pour le lire car il est un peu long (plus de 600 pages). Par contre, si vous ne connaissez pas J.C. Oates, je vous conseille de ne pas commencer pas celui-ci car ce n’est pas un des plus faciles de cette grande dame de la littérature.
Je signale également que ce roman a reçu le grand prix Madame figaro en 2011 et que la version poche est prévue pour fin octobre 2011.
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