Liz Nugent : Oliver ou la fabrique d'un manipulateur
Oliver ou la fabrique d'un manipulateur de Liz Nugent 4/5 (611-2015)
Oliver ou la fabrique d'un manipulateur (242 pages) est sorti le 3 septembre 2015 aux Editions Denoël (traduction : Edith Soonckindt).
L’histoire (éditeur) :
Alice et Oliver Ryan sont l'image même du bonheur conjugal. Complices, amoureux, ils mènent la belle vie. Pourtant, un soir, Oliver agresse Alice avec une telle violence qu'il l'a plongé dans le coma. Alors que tout le monde cherche à comprendre les raisons de cet acte d'une brutalité sans nom, Oliver raconte son histoire. Tout comme les personnes qui ont croisé sa route au cours des cinquante dernières années. Le portrait qui se dessine est stupéfiant. Derrière la façade du mari parfait se cache un tout autre homme. Et lorsque le passé ressurgit, personne n'est à l'abri, pas même Oliver.
Mon avis :
« La deuxième fois où j’ai frappé Alice, je n’ai juste pas piu m’arrêter. Et j’en suis vraiment désolé. Depuis mes dix-huit ans ma vie est sous contrôle, et le perdre est pour moi synonyme d’échec. (…) Il s’avère que je suis bel et bien un homme violent, en fin de compte. C’est un choc pour moi de l’apprendre. On m’a fait passer des tests psychologiques. Et j’ai décidé de presque tout leur dire. De toute évidence j’ai emmagasiné depuis l’enfance amertume, ressentiment et frustration. Tu m’étonnes. » Page 15
Marié depuis des années à Alice, Oliver pète un jour un câble et tabasse tellement sa femme qu’elle finit à l’hôpital, plongée dans un profond coma.
Cette entrée en matière est puissante et laisse sacrément perplexe quant à la suite du roman, tant l’attitude d’Oliver semble désabusée, normale et en même temps imprévisible. Par la suite, Liz Nugent s’en sort bien en misant sur une narration qui alterne les témoignages permettant de comprendre plus largement et plus objectivement les faits et les personnages, et qui permet aussi de ménager le suspens et les révélations jusqu’aux bout.
Au fil des déclarations d’Oliver et de l’entourage du couple (maîtresse, amis d’enfance, famille, anciens petits amis…), se dessinent deux portraits : l’un plus en retrait, celui d’une femme douce, un peu effacée, ordinaire et altruiste et l’autre qui dicte l’histoire, celui d’un homme secret, mystérieux, bourrée de bonnes manières, et charmant.
« Oliver était un de ces types qui respirent la confiance en eux, beau et bronzé, costume chic en lin bien comme il faut, une cigarette française au bec. Avec ses yeux foncés et son costume, on aurait dit un acteur de cinéma. Page 46
Les récits des uns et des autres s’enchaînent avec logique, apportant au fur et à mesure un éclairage sur le passé et sur ce qui a amené Oliver à faire subir ça à Alice. La déclaration de l’un donne un complément à celle de l’autre sans pour autant tout dévoiler. L’auteure cultive ainsi plutôt bien le suspens car lorsqu’un point important commence à se dessiner, un nouveau trouble est jeter dans l’esprit du lecteur et un nouveau point que l’on voudrait voir éclaircir voit le jour.
Vous pensez qu’elle dévoile la majeure partie des faits rapidement mais en vérité elle se permet de creuser toujours un peu plus la description d’Oliver et l’histoire par le biais de nouvelles déclarations, afin qu’on puisse en saisir toutes les nuances. Est-il un véritable monstre ?
« Je n’ai jamais abandonné l’espoir que mon père finisse par se souvenir de moi un jour. Dans mes fantasmes, il se rendait soudain compte qu’il se trompait à mon sujet et que je n’étais pas un mauvais garçon. Il débarquait alors au pensionnant et m’emmenait vivre avec lui en m’assurant que j’étais un fils merveilleux. » Page 99
Perturbant, Oliver ou la fabrique d’un manipulateur sème le trouble dans notre tête, partagé entre la colère, le dégout et la compassion. C’est un roman choral qui montre bien la dualité du personnage dans un style simple mais énergique. La narration orale (adaptée à chaque personnage) confère au texte une forme de crédibilité marquante et sa forme presque journalistique lui donne un aspect froid et une distance qui au final ne lui dessert pas du tout, mettant aussi en lumière la société irlandaise dans la seconde moitié du XXème siècle (église, famille…)
Dramatique à de nombreux niveaux, Oliver ou la fabrique d’un manipulateur est un thriller relativement court (241 pages) et captivant. Finalement pas de surprise dans le fond mais un portrait si bien nuancé qu’il retient l’attention jusqu’au bout.
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