Julie Bonnie : Chambre 2
Chambre 2 de Julie Bonnie 4,5/5 (01-08-2013)
Chambre 2 (192 pages) paraîtra le 29 août 2013 chez les éditions Belfond.
L’histoire (éditeur) :
Une maternité. Chaque porte ouvre sur l'expérience singulière d'une femme tout juste accouchée. Sensible, vulnérable, Béatrice, qui travaille là, reçoit de plein fouet ces moments extrêmes.
Les chambres 2 et 4 ou encore 7 et 12 ravivent son passé de danseuse nue sillonnant les routes à la lumière des projecteurs et au son des violons. Ainsi réapparaissent Gabor, Paolo et d'autres encore, compagnons d'une vie à laquelle Béatrice a renoncé pour devenir normale.
Jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus supporter la violence du quotidien de l'hôpital.
Un hommage poignant au corps des femmes, et un regard impitoyable sur ce qu'on lui impose.
Mon avis :
Chambre 2, premier roman de la chanteur et musicienne (du groupe Forguette Mi Note ) Julie Bonnie, est une première réussite littéraire.
L’auteure nous entraîne dans les méandres de l’enfantement, tout en évoquant des souvenirs d’une vie passée moins « normale ». Béatrice, la narratrice, ancienne danseuse nue est une auxiliaire de puériculture en peu spéciale. Elle parle sans complexe de sa vie d’avant, qui revient en tête à chaque nouvelle chambre ouverte. A travers les visites des différentes mamans de la maternité, reviennent ainsi les souvenirs d’une vie passée loin de la réalité, à sillonner les routes avec sa troupe hors normes de musiciens et artistes en tout genre. On apprend à connaître Phiphi (le tour manager), Pierre le bleu et Pierre le rouge (couple d’homosexuels extravertis), Monsieur X (l’éclairagiste), Frantz (proposé au son), Paolo à la batterie et surtout Gabor, violoncelliste allemand. Toute cette joyeuse bande forme une famille unie dans laquelle Béatrice a le sentiment d’être heureuse, épanouie, comprise et épaulée. C’est une vie de liberté, loin des règles établies et dictats de notre société, portée par la musique hypotonique, vivante et ensorcelante de deux musiciens exaltés.
« À eux deux, Gabor et Paolo vous prennent par la main et vous promène dans vos émotions les plus enfuies. Et ils fabriquent un tapis volant. Je n’ai qu’à me reposer sur leur musique, poser mes pieds et laisser faire, aller avec eux partout où ils vont danser, et danser je sais faire. Pierre et Pierre ajoutent le suspens, ils sont inquiétants, surnaturels, sexuels, dérangeants. » Page 87
Gabor tient une place centrale dans la vie de Béatrice. Celui pour qui elle quitte ses parents à 18 ans du jour au lendemain, celui qui lui donne deux beaux enfants, celui qui lui permet de trouver sa place… C’est avec beaucoup de bonheur, de sincérité et peu de regrets, qu’elle revient sur cette vie de saltimbanques, jusqu’au jour où, effrayée par leur nouvelle situation plus chaotique, elle choisit la sédentarité et toutes ses contraintes que Gabor ne supporte pas.
« Il a pris on violon et il est parti, pour ne jamais revenir.
C’est comme s’il avait sauté pat la fenêtre et qu’au lieu de tomber et de s’écraser de grandes ailes noires et majestueuses avaient poussé dans son dos. Je l’ai regardé s’envoler dans le ciel, avec son violon.
Voilà Gabor m’abandonnait. Après tant de couleurs, tant de lumières, notre amour était devenu un vieux bout de chair nécrosé, ratatiné, puant. »Page 156
« Je rentrais chaque soir dans une transe vaudou, mes seins gigotaient au son du violon de Gabor, mon homme aux yeux noirs, mes fesses faisaient hurler de bonheur des salles remplies de jeunes gens en colère.
Un doigt d’honneur à a vie.
Je planais au-dessus des réalités. (…) Il m’est vraiment difficile de comprendre comment tout s’est effondré.
J’ai eu les enfants. Gabor est parti.
J’ai eu peur, moi qui n’avais peur de rien.
Mon corps s’est tu.
Il a fallu que je travaille.
J’ai enfilé une blouse. » Page 31
Aujourd’hui casée dans le monde « réel », « normal », elle exerce un métier plus «toléré » (en blouse et sous la hiérarchie du Dr Mille). Il n’en demeure pas moins que Béatrice conserve une part à la rêverie, un monde parallèle offert par son passé.
« J’ai du mal à faire la différence entre les rêves et ce qu’on appelé la réalité. Je vis des choses impossibles dans le monde où les gens marchent sur la terre. Mais personne ne peut m’enlever ce que je vis en ne bougeant pas. (…) Je suis inadaptée à la vie qu’on me propose. (…) Parfois il me revient des souvenirs, et je suis incapable de savoir si c’est arrivé ou si le l’ai rêvé. » Page 67
C’est un personnage singulier et d’une extrême sensibilité. Elle se livre de façon croisée sans complexe sur son ancienne vie et sur cette nouvelle qui sonne comme une claque, entre douleur de chaque patiente (physique et/ou morale) et les à-côtés de son travail (cruauté entre collègues, hiérarchie impitoyable…).
Julie Bonnie a une très belle plume, sans pudeur, un peu violente, crue mais jamais vulgaire. Elle écrit avec talent, délicatesse et poésie et salue avec respect le corps de la femme, qui à chaque page, à l’occasion de s’exprimer. Béatrice donne autant la parole à son corps (qu’elle révèle en tant que danseuse) qu’à celui des femmes de la maternité. Si donner la vie est certainement le plus bel acte du monde, il reste tout de même une grande part de douleur et de ratés (déni de grossesse, césarienne, l’inquiétude de l’inconnu, la mort…) que la narratrice évoque avec sagesse et lucidité. Chambre 2 est un roman bouleversant. Le corps de la femme y est décrit avec autant de beauté que de cruauté. Sa construction donne un roman surprenant, mélange de regard inquisiteur de notre société et d’hommage bouleversant à la femme. Julie Bonnie (actuellement auxiliaire de puériculture) observe avec finesse un quotidien moins rose que l’on nous le présente habituellement. Pourtant la délicatesse de son écriture donne un roman beau, touchant et passionnant. Bref, une belle surprise !
Merci à Chroniques de la rentrée littéraire
Note du 29 août 2013 : Ce titre vient de recevoir le prix du roman Fnac 2013
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