Emily St John Mandel : Dernière nuit à Montréal
Dernière nuit à Montréal d’Emily St John Mandel 5/5 (24-09-2012)
Dernière nuit à Montréal (240 pages), premier roman d’Emily St John Mandel est paru aux Editions Rivages (collection Rivages thriller) le 22 août 2012.
L’histoire (éditeur) :
C’est l’histoire de Lilia, enlevée à sept ans par son père lors d’une nuit d’hiver, de la longue cavale qui dura toute son adolescence, et de Christopher, le détective engagé par sa mère pour la retrouver.
C’est aussi l’histoire de Michaela, la fille de Christopher, qui rêvait d’être funambule dans un cirque et finit dans une boîte de strip-tease à Montréal. Michaela sait ce que Lilia a toujours ignoré : la raison de cette cavale de dix ans à travers les États-Unis.
C’est enfin l’histoire d’Eli, étudiant passionné par les langues, mortes et vivantes, qui sait qu’elles sont aussi fragiles que les sentiments qu’elles servent à exprimer. Eli a hébergé Lilia à New York, suffisamment longtemps pour en tomber amoureux et partir à sa recherche lorsque, une fois de plus, elle s’enfuit…
C’est dans une Montréal hypnotique et enneigée que se dénouera cette « vieille histoire de fenêtres brisées et de neige », l’histoire de ces trois jeunes gens que le destin a réunis.
Mon avis :
Dernière nuit à Montréal m’a laissée une boule à l’estomac et le cœur serré, soulagée de connaître l’aboutissement du destin de Lilia et émue par les situations qui en ont découlé chez les autres protagonistes.
Dernière nuit à Montréal a une qualité narrative qui n’a rien à envier aux romans écrits par des auteurs qui en ont déjà 3 ou 4 à leur actif. Ce n’est pas pour rien qu’il a été finaliste du ForeWord Magazines’2009 Book of The Year. L’écriture d’Emily St John Mandel m’a transportée. J’ai trouvé que son roman était véritablement bien écrit et sa construction était efficace, percutante. Difficile de me détacher de l’histoire, je voulais vite arriver au dénouement et en même temps faire durer le plaisir de la lecture.
L’auteure alterne les points de vue et les époques. Tout est si bien construit que les chapitres se regroupent avec facilité pour ne former qu’une seule et même intrigue : celle de 4 destins unis pour reconstituer le puzzle d’une quête.
Le roman s’ouvre un jour ordinaire, le dernier du mois d’octobre, quand Lilia quitte brutalement l’appartement New Yorkais, où elle vit avec Eli, sans plus jamais donner signe de vie. En vérité tout commence au Canada, lors de son l’enlèvement par son père alors qu’elle n’avait que 7 ans suivi des 9 années de fuite pendant lesquelles ils vont de motel en motel à travers tous les Etats unis. Ce road movie bouleverse plus que la vie de la fillette, devenue une perpétuelle fuite/quête de son passé et de ses souvenirs.
Celle d’Eli évidement, qui est tombé amoureux de la jeune femme et qui tente de la retrouver. Eli Jacobs est un homme mal dans sa vie, adepte des langues vouées à disparaitre (planchant sur une thèse depuis des années sans jamais la terminer), il travaille dans une galerie d’art le mettant face à l’inaction qui gouverne sa vie. Il a trouvé dans Lilia la bizarrerie et surtout la capacité d’agir qui lui plait et dont il trouve une certaine perfection. Impossible pour lui de se résigner à accepter son absence. C’est pourquoi quand il reçoit une page de la Bible où les mots de Lilia s’opposent à un message laissé par une mystérieuse Michaela, l’invitant à retrouver celle qu’il aime, il décide de quitter New York pour se rendre à Montréal. Pourquoi ne souhaite-t-elle pas être retrouver (« je désire rester volatilisée » page 62) ? Eli, tout comme Lilia elle-même, cherche à mettre des mots sur ce qui a poussé son père à l’enlever et à transformer leur vie en errance. Le lecteur attend les révélations d’avantage pour Lilia que pour lui-même, pressentant parfaitement le drame de son enfance et la causes de ses blessures qu’elle trimbale.
« Ce n’était jamais très facile d’atteindre Lilia ; ça revenait un peu à aimer une personne qui était rarement dans la même pièce. Mais il aurait été difficile d’imaginer, au sens purement abstrait du terme, une fille plus parfaite… » page 48
A côté de ça il y a la vie de Christopher Graydon, un flic reconverti en détective privé, engagé par la mère de la fillette, chargé de la retrouver. Ce job se transforme peu à peu en obsession qui lui fait délaisser sa famille et surtout sa fille Michaela (du même âge que Lilia). Fils de dompteurs de lions, Christopher est marié à Elaine (fille de funambules) mais leur amour s’étiole doucement. Incapable de lire les messages qu’elle lui laisse, ou trop (pré)occupé pour pouvoir s’y intéresser et agir, incapable d’affronter sa propre vie, il la laisse quitter le domicile, se retrouvant seule avec sa fille alors ado. Sa vie se résume à pourchasser Lilia et son père et rien de semble pouvoir l'arrêter. Même quand il revient des Etats Unis dans un fauteuil roulant (dont les causes restent floues), il ne peut s’empêcher de craindre pour la sécurité de la jeune fille (devenue jeune femme) et continue sa traque.
Et enfin, il y a la jeune Michaela, qui a toujours rêvé de suivre les traces de sa famille en devenant funambule. Fascinée par l’enquête qui absorbe son père depuis 11 ans, effacée et placée toute sa vie dans l’ombre de cette Lilia, elle finit par se retrouver seule, danseuse dans un night-club à Montréal.
Lire Dernière nuit à Montréal s’est se retrouver emporté dans l’errance (ou la quête) de Lilia et de son père (personnage remarquable d’ailleurs !), et forcément attaché aux victimes collatérales. La construction fragmentée faite d’épisodes morcelés de la vie de la jeune femme, entremêlés de bout de celle des autres personnages, laisse d’emblée entendre que le destin de Christopher, Michaela et d’Eli sont irrémédiablement liés. Et pourtant ces portraits disparates mettent en avant le poids de la solitude dont chacun est victime, tout comme l’écriture d’Emily St John Mandel montrent l’importance des mots qu’ils soient écrits ou oraux.
Dernière nuit à Montréal est un roman noir très réussi. Juste fascinant. Impossible de vous cacher que j’ai beaucoup aimé ce livre et que son auteure aura sa place dans mes favoris. Merci infiniment à Rivage pour cette très belle découverte.
« Ce qu’elle aspirait à atteindre, c’était une sorte de délirante perfection. Ce que voulait Lilia, c’était voyager, mais pas seulement cela : elle voulait être une citoyenne de partout, insouciante et capable de s’envoler instantanément. » page 81
« Il avait toujours été suivi par des ombres et des fantômes ; la question de savoir s’ils étaient réels ou non était presque accessoire. Les eaux ne cessaient de monter derrière eux et il portait Lilia toujours plus haut, en terrain sûr. Comprenant cela, Lilia sentit son cœur gonfler douloureusement d’amour et de culpabilité, et elle ne put se résoudre à mentionner cette dernière ombre en date » page 137
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