Benjamin Whitmer : Cry Father
Cry Father de Benjamin Whitmer 4/5 (08-04-2015)
Cry Father (320 pages) est paru le 26 mars 2015 aux éditions Gallmeister dans la collection Néonoir (traduction : Jacques Mailhos).
L’histoire (éditeur) :
Depuis qu’il a perdu son fils, Patterson Wells parcourt les zones sinistrées de l’Amérique pour en déblayer les décombres. Le reste du temps, il se réfugie dans sa cabane perdue près de Denver. Là, il boit et tente d’oublier le poids des souvenirs ou la bagarre de la veille dans un bar. Mais ses rêves de sérénité vont se volatiliser lorsqu’il fera la rencontre du fils de son meilleur ami, Junior, un dealer avec un penchant certain pour la bagarre. Les deux hommes vont se prendre d’amitié l’un pour l’autre et être peu à peu entraînés dans une spirale de violence.
Mon avis :
Oh que Cry Father est sombre ! Benjamin Whitmer nous offre un grand roman noir avec tous les éléments que l’on peut attendre du genre : l’univers violent, le regard pessimiste (« noir ») sur la société, l’alcool et la drogue omniprésents, des dialogues marqués par l’argot et des personnages profondément marqués par la vie.
Patterson Wells est élagueur itinérant travaillant dans les zones sinistrées américaines. Pendant ses moments de libre (et quand l’énergie le lui permet), il écrit sur un cahier d’écolier des lettres destinées à son fils Justin, décédé il y a quelques années. Quand il n’écrit pas, il survit à la douleur et à ceux qui gravitent autour de lui : son voisin Henry en guerre avec Junior son fils sociopathe (trafiquant de drogue qui enchaîne les descentes jusqu’à la frontière se fournir chez un dealer de la police des frontières), son ancien collègue Chase devenu accro à la meth, sa copine affiliée à un gang de bikers, son ex-femme dont il est encore amoureux…
Croyant pouvoir vivre librement (et sans véritable but) sur la mesa, reculé du monde civilisé et détaché de la société, Patterson est pourtant loin de vivre les prochains jours paisiblement. Cry Father est une avalanche de frasques alimentées aux diverses drogues et à l’alcool, d’actes brutaux et de morts. La narration est à la fois violente et pleine de de mélancolie. Mariages ratés, deuils jamais surmontés et profondes tristesses côtoient la mauvaise graine, la cruauté et les abus en tout genre.
Benjamin Whitmer porte un regard acéré sur une société en marge, il montre un talent certain pour observer la misère humaine et nous la rendre inquiétante et touchante. Si l’intrigue n’a rien d’originale, les dialogues justes et la narration à la fois nonchalante et brutale rendent le roman particulièrement bon. Le texte marque par la douleur émotionnelle que ses personnages dégagent et par son écriture sèche, violente, chaotique, poétique et empathique. Ainsi, j’ai détesté cet univers d’armes, de violence et de déchéance (impossible d’adhérer à cette communauté borderline) mais tellement aimé cette manière d’aborder la paternité, la perte et l’échec sans aucun jugement.
« - Je crois que c’est un problème de perte. Je crois que quand tu perds quelqu’un ou quelque chose d’important ça laisse un vide à l’endroit où ça vivait à ‘intérieure toi. Je crois que c’est de là que viennent toutes ces théories du complot. Comme si les gens qui croient à ce genre de choses avaient un trou sans fond à l’intérieur d’eux-mêmes, un trou dont ils ne peuvent parler à personne parce que ce n’est qu’un trou, alors ils inventent des histoires aussi affreuses et terrifiantes que lui. Et ils les balances dedans en espérant les remplir.
Patterson refuse de mordre à l’hameçon. Il détourne son visage mort et regarde les étincelles du feu frétiller fugacement dans la colonne d’air chaud avant de se faire éteindre par le ciel d’un noir d’encre, s’élevant par saccades vers leur mort. Comme s’il savait que le moment était venu pour lui de s’éclipser, Sancho gémit, se lève et s’éloigne tranquillement du halo de lumière. Patterson le regarde.
- Et toi, tu sais pourquoi t’y vis ici, en haut ? Continue-t-elle.
- Parce que ça ne coûte pas cher, di Patterson. Parce que pour l’essentiel, ici, les gens me foutent la paix.
Elle fait non de la tête.
- C’est parce que tu refuses de laisser quoi que ce soit risquer de remplir le trou que tu as en toi. Et ça ne vaut pas mieux. » Page 277
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