Suzanne Bugler : Ce bonheur trop parfait
Ce bonheur trop parfait de Suzanne Bugler 4,5/5 (08-12-2012)
Ce bonheur trop parfait (343 pages) est le premier roman pour adulte de Suzanne Bugler. IL est publié aux Editions Presses de la Cité, disponible depuis le 4 octobre 2012.
L’histoire (éditeur) :
Laura a la vie parfaite dont elle a toujours rêvé : un mari avocat et des enfants merveilleux, des amies riches, une maison dans la banlieue cossue de Londres. Un jour, elle reçoit un appel de détresse de la mère de Heddy, une ancienne camarade d'école. Ni jolie ni intelligente, mal dans sa peau, celle-ci était le souffre-douleur de Laura et ses amies. A présent internée dans un asile psychiatrique, elle demande avec insistance à revoir Laura...
Mon avis :
Ce bonheur trop parfait, un titre très bien choisi pour décrire la vie de Laura, qui depuis sa plus tendre enfance mène une vie de collégienne, de jeune fille, de femme, d’épouse, de mère, de voisine, d’amie… parfaite ! Inutile de vous préciser que cette perfection n’est qu’un vernis, la vision de ce qu’elle doit donner d’elle, pour elle, son mari, sa famille et pour la société dans laquelle elle évolue. Le voile se lève cependant lorsqu’elle reçoit un appel téléphonique, qu’elle était à 2000 lieues d’imaginer, et révèle quelque chose de plus réel et de plus sombre.
L’appel téléphonique qui met fin à son règne sur sa vie est celui de Madame Partridge, la mère d’Heddy, une de ses anciennes camarades de classe de primaire. A l’opposé de celle de Laura (belle et populaire), la jeunesse d’Heddy, obèse vulnérable, était un véritable cauchemar : bouc émissaire de l’école et surtout de Laura, que ses parents ont toujours forcée à lui témoigner de la sympathie.
Aujourd’hui, Mme Partridge a besoin de Laura. Sa fille est malade, enfermée dans un hôpital psychiatrique pour une grave dépression. C’est pour tenter de l’en faire sortir qu’elle lui demande de l’aide. D’abord extrêmement réticente, Laura n’a d’autre choix que de se rendre à l’hôpital pour se débarrasser de Madame Partridge, d’Heddy (qui la dégoute toujours autant), et de son passé. Mais les deux femmes s’installent dans sa vie et surtout dans son esprit. Heddy s’immisce dans son quotidien bien rangé et organisé. (« Qu’on en parle ou non, ladite folle à lier et sa mère n’en demeurent pas moins accrochées à ma vie, comme deux vers solitaires aux dimensions dignes d’être exhibées dans des cirques. » page171).
Laura se sent forcément responsable des conditions actuelles de vie d’Heddy (« Notre enfance passe en accéléré dans mon esprit et je ne perçois que ma petite voix aigüe qui ricane, qui se moque et qui méprise. » page 128). Le passé lui revient en pleine figure : toutes les méchancetés, les coups bas et les humiliations. Son présent s’étiole doucement quand elle prend conscience qu’elle est effectivement à l’opposé d’Heddy, mais pas forcément du côté qu’elle a toujours songé.
L’écriture de Suzanne Bugler est d’une grande fluidité. Ce bonheur trop parfait est vraiment captivant. Bien construit, il capte d’emblée l’attention du lecteur qui s’attache à un personnage aussi antipathique que sensible. L’aspect psychologique est très bien mené. On suit l’évolution de la narratrice avec intérêt. D’abord si méprisable, elle devient émouvante, bernée durant tant d’année et prenant conscience de sa médiocrité.
« J’essaye de me persuader que mon unique but est de réussir à faire disparaitre Heddy et sa famille de ma vie pour qu’elle reprenne son cours normal, mais je me leurre. C’est autre chose désormais. La normalité telle que je l’ai si parfaitement conçue et façonnée se désagrège et s’effiloche. A-t-elle jamais existé ?
Je songe de plus en plus souvent à ce qu’a dû endurer Heddy. Je préfèrerais ne pas penser à elle, mais elle s’insinue dans mon esprit malgré moi, et la culpabilité m’enveloppe et me tire vers le fond » page 244
« Je ne parviens pas à trouver la paix, parce que je ne peux m’extraire de moi-même. Je suis ancrée, enchainée à mon passé, inséparable de lui. Moi et mes fantômes. Tout ce que j’ai fait, tout ce que je suis. » page 257
Et puis surtout quelle description de la classe moyenne sup ! Les Desperate Housewives version anglaises. L’humour (noir) est toujours présent. La narration de Laura est acerbe, sa vision d’elle et de son petit monde est juste, réaliste mais terriblement tranchante et satirique. La plume de l’auteur dénonce les masques que chacun porte et le gouffre social personnifié par Laura et Heddy. Ce bonheur trop parfait montre que la perfection n’est pas le bonheur, tout simplement !
Je suis entré dans ce roman avec beaucoup d’apriori, persuadée qu’un complot familial ou qu’une terrible vengeance (réfléchie durant des décennies) se mettait en place pour nous servir un thriller psychologique. Et bien pas du tout, le côté thriller est vite écarté pour laisser place à une critique sociale. Aucune déception pourtant car Suzanne Bugler offre un roman où humour et cruauté font très bon ménage.
« Heddy ne pouvait pas ressentir les mêmes émotions que moi. Et pourtant. Cette pauvre fille est aujourd’hui internée dans un hôpital psychiatrique. A bout. Il semblerait donc, après tout, qu’elle soir capable d’émotions. » page 23
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