Selva Almada : Les jeunes mortes
Les jeunes mortes de Selva Almada 3,5/5 (21-10-2015)
Les jeunes mortes (144 pages) est sorti le 8 octobre 2015 aux Editions Métailié dans la collection Bibliothèque hispano-américaine (traduction : Laura Alcoba).
L’histoire (éditeur) :
Années 80, dans la province argentine : trois crimes, trois affaires jamais élucidées qui prennent la poussière dans les archives de l’histoire judiciaire. Des “faits divers”, comme on dit cruellement, qui n’ont jamais fait la une des journaux nationaux.
Les victimes sont des jeunes filles pauvres, encore à l’école, petites bonnes ou prostituées : Andrea, 19 ans, retrouvée poignardée dans son lit par une nuit d’orage ; María Luisa, 15 ans, dont le corps est découvert sur un terrain vague ; Sarita, 20 ans, disparue du jour au lendemain.
Troublée par ces histoires, Selva Almada se lance trente ans plus tard dans une étrange enquête, chaotique, infructueuse ; elle visite les petites villes de province plongées dans la torpeur de l’après-midi, rencontre les parents et amis des victimes, consulte une voyante… Loin de la chronique judiciaire, avec un immense talent littéraire, elle reconstitue trois histoires exemplaires, moins pour trouver les coupables que pour dénoncer l’indifférence d’une société patriarcale où le corps des femmes est une propriété publique dont on peut disposer comme on l’entend.
Mon avis :
À San José, le 16 novembre 1986, à 20 kilomètres du village de Selva Almada, une adolescente est retrouvé un poignard dans le cœur, assassinée dans son lit pendant la nuit.
« J’avais seize ans et, ce matin-là, la nouvelle de la jeune morte a été pour moi comme une révélation. Ma maison, la maison de n’importe quel adolescent, n’était pas l’endroit le plus sûr au monde. Chez toi, on pouvait te tuer. L’horreur pouvait vivre sous ton toi. » Page 16
Loin d’être la première (et la dernière) affaire du genre, cet événement reste marqué dans l’esprit de l’auteure. Jamais élucidé, ce crime est l’évènement déclencheur qui va marquer pour elle l’ampleur de la situation en argentine, où la société myosine a instauré presque naturellement le féminicide.
« Durant plus de vingt ans, Andrea a été près de moi. Elle revenait de temps en temps, dès qu’e j’apprenais qu’une autre femme avait été assassinée. Les prénoms qui, au compte-goutte, arrivaient à la une des journaux nationaux, commençaient à s’accumuler : Maria Soledad Morales, Gladys Mc Donald, Elena Arreche, Adriana et Cecilia Barreda, Lilian Tallarico, Ana Fuscini, Sandra Reitier, Carolina Alo, Natalia Melman, Fabiana Gandiaga, Maria Marta Garcia Belsunce, Marela Martinez, Paulina Lebbos, Nora Dalmasso, Rosana Galliano. Chacune d’elle me faisait penser à Andrea et à ce meurtre resté impuni. » Page 16-17
Trente ans plus tard, elle revient sur trois affaires :
Maria Luisa, 15 ans, une jeune fille pauvre au physique d’enfant de douze ans, disparue après avoir quitté son emploi de femme de ménage le 8 décembre 1983, dont le corps est retrouvé trois jours plus tard.
Sarita, 20 ans, mère d’un petit garçon qui est partie en promenade le 12 mars 19888 avec son amant (un homme marié et important entrepreneur du coin) et n’est jamais revenue. Un squelette non identifié, trouvé un an après sa disparition lui est attribué, sans véritables certitudes.
Et Andrea, 19 ans, découverte mort dans son lit par sa mère en 1986.
Dans ce récit journalistique très personnel, Selva Almada revient sur leur vie de manière brève et tente de comprendre, voire d’éclaircir ce qui n’a jamais été élucidé pat manque de preuves, d’intérêt ou de volonté (la corruption, monnaie courante, permettant aux plus riches de s’innocenter).
À la fois détaillé et désordonné, le récit donne un éclairage sur la société argentine actuelle (qui n’a pas beaucoup évoluée depuis ces trois meurtres). Cependant, le mélange d’entrevues avec les proches des victimes et des consultations des différents dossiers donnent un sentiment de confusion chez le lecteur.
Cherchant à replacer chaque élément et détail à la bonne affaire, la lecture est un peu ralentie. Néanmoins je n’ai pas vu en cela un véritable défaut car pour moi il ne s’agissait plus de Maria Luisa, d’Andrea ou de Sarita, mais de toutes les victimes d’Argentine, et même d’Amérique Latine.
Noir et amer, ce texte est un plaidoyer contre l’injustice de cette société masculine qui place la femme au rang d’objet. Elle y évoque aussi subtilement la condition féminine de manière plus large (des jeunes filles trop vite mères, obligées de travailler dès leur enfance pour certaines, ou bien même à se prostituer par leur mari). Le sentiment d’impuissance est fort et rend ce livre encore plus dérangeant, mais néanmoins indispensable pour prendre conscience de l’étendue du problème.
Selva Almada fait preuve d’une profonde humanité. Les anecdotes et les souvenirs précis qu’elle évoque sont particulièrement durs, touchants et inquiétants et rendent Les jeunes mortes terriblement parlant, constatant avec réalisme l’ampleur du phénomène.
« Ça fait déjà un mois que la nouvelle année a commencé. Au moins dix femmes ont été assassinées du seul fait d’être des femmes. Je dis au moins car ce sont les noms qui ont été publiés dans la presse, celles dont on a parlé dans les journaux.
Mariela Bustos, tuée de vingt-deux coup de couteau à las Caleras, dans la province de Cordoba. Marina Soledad Da Silva, frappée à mort et jetée dans un puits à Nemesio Parma, dans la province de Misiones. Zulma Brochero, d’un coup de poignard dans le front, et Arnulfa Rios, d’une balle, toutes deux à Rio Segundo, dans la province de Cordoba. Paola Tomé, étranglée, à Junin, dans la province de Buenos Aires. Priscila Lafuente, battueà mort, à moitié brulée sur un barbecue puis jetées dans un ruisseau à Berazategui. Carolina Arcos, d’un coup porté à la tête, dans un chantier, à Rafaela, dans la province de Santa Fé. Nanci Molina, poignardée, à Presidencia de la Plaza, dans la province du Chaco. Luciana Rodriguez, morte sur les coups, dans la ville de Mendioza. Querlinda Vasquez, étranglée à Las Heras, dans la province de Santa Cruz. » Page 137
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