Nicolas Clément : Sauf les fleurs
Sauf les fleurs de Nicolas Clément 4,5/5 (05-08-2013)
Sauf les fleurs (80 pages), premier roman de Nicolas Clément, est paru le 22 août 2013 aux Editions Buchet Chastel.
L’histoire (éditeur) :
Marthe vit à la ferme avec ses parents et son frère Léonce. Le père est mutique et violent, mais l’amour de la mère, l’enfance de Léonce et la chaleur des bêtes font tout le bonheur de vivre.
À seize ans, elle rencontre Florent et découvre que les corps peuvent aussi être doux. Deux ans plus tard, le drame survient. Les fleurs sont piétinées, mais la catastrophe laisse intacts l’amour du petit frère et celui des mots.
Une histoire bouleversante et charnelle, une langue d’une puissance étincelante : la voix de Marthe, musicale et nue, accompagnera le lecteur pour longtemps.
« Je voulais une mère avec des épaules pour poser mes joues brûlantes. Je voulais un père avec une voix pour m’interdire de faire des grimaces à table. Je voulais un chien avec un passé de chat pour ne pas oublier qui j’étais. [...] Je n’ai pas eu tout ce que je voulais mais je suis là, avec mes zéros, ma vie soldée du jour qui vaut bien ma vie absente d’avant. Je tombe rond ; mon compte est bon. »
Mon avis :
A la ferme, Marthe 12 ans vit en harmonie avec son frère Léonce, sa mère, sa machine à coudre et les travaux (traite des vaches, soins aux bêtes, fauchages de l’herbe…) si ce n’est un ombre au tableau : Papa.
« Notre famille a fondu depuis longtemps, mais elle existe encore en lettres, sur l’étiquette du journal, le relevé des compteurs. Depuis des lustres, Papa ne prononce plus nos prénoms, se jette sur le verbe, phrases courtes sans adjectifs, sans complément, seulement des ordres et des martinets. (…) Mais la langue de Papa n’existe qu’à la ferme, hélas. Il nous conjugue et nous accorde comme il veut. Il est notre langue étrangère, un mot, un point, puis retour à la ligne jusqu’à la prochaine claque. » Page 13
Papa, la brute épaisse, celui qu’elle aimerait voir mort, celui qui avorte ses amitiés, qui leur abîme la vie,. (« Il éteint et disparaît. Entre Sonia et moi, le courant ne passe plus. Notre amitié a sauté, nous sommes dans le noir. » page 15)
Marthe raconte son histoire avec l’école, son évasion dans les livres cachée dans le grenier (« Je ferai des études pour être professeur de grenier et de livres anciens. Léonce dit Tope là. Je tope ; nous implorons l’avenir de bien vouloir nous accepter. » Page 20)
Puis, le temps des garçons à 16 ans, le temps de Florent, celui qui s’annonce salvateur. Mais, fidèle à lui-même, Papa est toujours là. Jusqu’au jour où on l’embarque alors que maman finit à l’hôpital (pas longtemps…). Alors à 18 ans, Marthe suit Florent au bout du monde, à la rencontre de son destin. Elle abandonne son amour de Léonce pour un petit meublé à Baltimore où l’envie d’être heureuse chasse la tristesse et où le jeune couple choisit de suivre son destin : musicien et professeur.
« Il me semble alors que le savoir peut guérir. Que lire, écrire, traduire, c’est réformer le sein, étaler l’origine, aérer le fumier d’où sortiront les fleurs derrière chaque tort redressé. » page 51
« Aujourd’hui, je n’étais pas heureuse sans avoir pourquoi. Demain je le serai de nouveau sans savoir comment. Je rame, le bonheur est là. » Page 55
Quand le passé rattrape la réalité, Marthe 20 ans revient à la ferme pour enfin s’en libérer….
Sauf les fleurs est un texte tout court qui possède une étrange intensité. Nicolas Clément utilise un style particulier qui parfois oblige à revenir en arrière préférant relire la phrase à la syntaxe et la ponctuation surprenantes. Et même si l’écriture dissimule les dialogues dans la narration (sans guillemet, tiret, ni retour à la ligne), on se laisse porter par le récit de Marthe que l’auteur habille de figures de styles remarquables. Car si la construction est peu commune (comme une accumulation d’idée, de souvenirs, de faits…des phrases courtes limitées à l’essentiel) le style délicat, tout en métaphores, est accrocheur et plaisant.
« Maman plaisante En tristesse, je fais du 42, j’ai du mal à mettre les bottes, Vous êtes mon chausse-pied, mon plaisir avant la foudre. Nous sommes pris au piège, du sommet jusqu’au puits en passant par la case Se taire. » Page 22
Sauf les fleurs est une histoire qu’on voudrait croire pleine d’espoir, mais existe-t-il vraiment dans la vie de Marthe ? Florent peut être, ce garçon touchant par sa gentillesse et son amour pour elle, mais à part ça…
« Florent rappelle Ton histoire ne se voit pas, Le corps et la patience ont parlé et tu as fait le chemin sans savoir que la peur te soufflait la réponse, Tu donnes tant d’heureux autour de toi. Regarde, Laisse fleurir. Une autre nuit, Florent ajoute Les coups reçus ouvrent tes bras, Les caresses ont franchi tes poings fermés, tes doutes deviendront tes élèves, Que voulais-tu de mieux, que pouvais-tu de plus. Florent a raison, et c’est passionnant d’aimer ce garçon qui trouve les mots justes pour le rêve dont je suis née. » Page 53
L’espoir a trop tendance à côtoyer les regrets. Nicolas Clément réussit un premier roman plein de force et de caractère, et de poésie aussi. Il a beau être court, son livre n’en est pas moins bouleversant.
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