Libre-R et associés : Stéphanie - Plaisir de lire

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Jon Ronson : La honte

La honte de Jon Ronson   4/5 (21-01-2018)

 

La honte (304 pages) est disponible depuis le 8 février 2018 aux Editions Sonatine (traduction : Fabrice Pointeau).

 

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L’histoire (éditeur) :

 

Voyage au pays de la honte : le ridicule ne tue pas...il divertit !
Un tweet malheureux, un plagiat, une remarque de mauvais goût qui vous échappe et, avec les réseaux sociaux, c'est désormais le monde entier qui peut vous tomber dessus. En quittant ainsi la sphère personnelle, la honte a depuis quelques années connu une promotion inespérée.
Grand reporter d'un genre très particulier, Jon Ronson a rencontré quelques honteux célèbres malgré eux. Au-delà de ces portraits, parfois dramatiques, parfois désopilants, il s'interroge sur cette nouvelle forme insidieuse du contrôle social. Derrière son écran, la majorité silencieuse s'en donne en effet à cœur joie pour pointer les fautes des autres, et s'en réjouir. Et aujourd'hui, une journée où personne n'est désigné du doigt sur la Toile finit par être ennuyeuse, sinon décevante. Seraient-ce les nouveaux jeux du cirque ?

 

Mon avis :

 

Parce qu’en janvier 2012, Ron Jonson s’est aperçu qu’une autre Jon Ronson postait des messages avec sa propre photo de profil sur Twitter, qu’il a décidé de s’intéresser à la question des réseaux sociaux et plus particulièrement à l’humiliation qui peut découler de ces sites.

« Et alors, un jour, ça m’a frappé. Quelque chose de réellement important était en train de se produire. Nous étions au commencement d’une grande renaissance de l’humiliation publique. Après une accalmie de cent quatre-vingts ans (les châtiments publics avaient été progressivement supprimés en 1837 au Royaume Unis, et en 1839 aux Etat Unis) elle revenait à grands pas. Quand nous jetions l’opprobre sur quelqu’un, nous utilisions un outil excessivement puissant. Il était coercitif, sans frontières, et gagnait en vitesse et en influence. Les hiérarchies étaient nivelées. Les masses réduites au silence trouvaient une voix. C’était comme si la justice était démocratisée. Alors j’ai pris une décision. Une prochaine  fois qu’une crapule notable ferait l’objet d’une campagne d’opprobre moderne significative- la prochaine fois que la justice des citoyens prévaudrait de façon spectaculaire et fondée-, je sauterais sur l’occasion. J’enquêterais de près et rendrait compte de ‘efficacité de cette méthode pour redresser les torts. » Page 18-19

 

Son histoire (parce que La honte se lit presque comme un récit sous forme d’enquête plutôt que comme une étude sociologique) commence par l’affaire de Michael Moynihan Ce journaliste de 37 ans, en tombe sur des incohérences dans le livre de Jonah Lehrer portant sur John Lennon, se rend compte de plagia. Après  une longue hésitation à mettre en lumière la faute, risquant de détruire l’auteur, il décide de révéler la tromperie, estimant que la publication de son article était justifiée, quand bien même l’humiliation risquait d’être un drame.

C’est l’une des premières questions que soulève Jon Ronson, l’humiliation est-elle un mal nécessaire ?

 

Mais d’autres cas se présentent à lui, et d’autres interrogations font surface. Comme l’affaire de Justine Sacco, publiant sur Twitter une blague raciste qui a tourné au lynchage médiatique (puis au traumatisme, à une carrière professionnelle détruite et  par association à la ruine de la réputation de la famille). On en vient alors à réfléchir sur la puissance néfaste des réseaux sociaux…

«  Une vie avait été foutue en l’air. Pourquoi ? Pour enflamme les réseaux sociaux ? Je crois que notre tendance en tant qu’humains est d’avancer péniblement, puis d’arrêter quand on est trop vieux. Mais avec les réseaux sociaux, nous avons créé une scène pour de grands spectacles permanents et artificiels. Chaque jour une nouvelle personne émerge en tant que héros magnifique ou en tant qu’ignoble crapule. Ça balaie tout, et ça ne ressemble pas à ce que nous sommes vraiment en tant que personnes. Quel est ce frisson qui s’empare de nous à de tels moments ? Qu’en tirons-nous ? » Page 79

 

Mais l’humiliation (or acharnement et cruauté présents sur ces réseaux) peut-elle s’avérer utile et rendre une personne meilleure, lui trouver un sens à sa vie, comme peut l’être une humiliation publique ?

« J’avais supposé que le juge Ted Poe serait une personne sui atroce et une modèle sui négatif que les dénonciateurs des médias sociaux s’apercevraient avec horreur qu’ils étaient en train de devenir comme lui et s’engageraient à changer leurs méthodes. Mais Mike Hubacek estimait que son humiliation était la meilleure chose qui lui soit jamais arrivée. (…)

« Les humiliations sur les réseaux sociaux sont pires que les vôtres » ai-je dit au juge Ted Poe.

Il a semblé pris de court. » en effet, a –t-il répondu. Car elles sont anonymes.

-Mais même si elles ne sont pas anonymes, c’est un tel déchainement qu’elles pourraient tout aussi bien l’être.

-Elles sont cruelles »,a –t-il convenu.

J’ai soudain pris conscience que tout au long de notre conversation, j’avais utilisé le mot « elles ». Et chaque fois que je l’avais fait, je m’étais senti lâche. Le fait était que ce n’était pas elles qui  étaient cruelles. C’était nous. » Page 87

 

La honte est une vaste réflexion, qui comme pour son précédent titre ( Êtes-vous psychopathe ?), se révèle être un travail de recherche passionnant. Le thème touche tout le monde et la manière (très personnelle) dont l’auteur l’exploite et le développe rend la lecture très addictive. J’aime le ton de Jon Ronson, parfois drôle, naïf et touchant (l’auteur rend son texte à la portée de tout le monde !)  Mais surtout j’aime toutes ces réflexions qu’il expose, comment il les développe, cette manière linéaire de rendre son étude et avant tout son côté humain. On suit aussi bien le fil de son enquête que de ses interrogations. Ainsi à coup d’anecdotes et d’histoire, plus ou moins médiatiques, on en vient à réfléchir sur les conséquences des posts, nos interactions dans les réseaux sociaux et sur certains aspects positifs d’actes. L’auteur ne délaisse aucun angle et offre une vision certes personnelle de la chose mais pas loin d’être dénué de réflexions universelles.

 

Jon Ronson présente de nombreux portraits, exemples de lynchages, victimes- lynchée, et responsable-lyncheurs, et nous brosse évidement une observation intelligente et richement documentée. Rencontres, extraits, citations, photo, interviews…font de cette non fiction un livre absolument fascinant. Le tout dans un style oral très agréable. L’auteur instaure autant de rythme que d’intérêt au fur et à mesure de son récit, ce qui permet une lecture sans aucun sentiment de lassitude ni baisse d’attention.

« Cet essai pourrait constituer un tournant, a écrit Peter Bradshaw dans le Guardian. Les humiliations sur twitter permettent aux personnes qui se croient complaisamment gentilles de se laisser aller au sombre frisson du harcèlement – au nom d’une cause juste. Peut-être l’article de Ronson entrainera-t-il une remise en cause de la culture de la chasse aux sorcières instantanée qui prévaut sur Twitter. » Page 263

 

En bref : lecture stimulante, perspicace et terriblement tendance, La honte m’a passionnée.  

 



28/03/2018
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