Jérémy Fel : Helena
Helena de Jérémy Fel 4/5 (16-08-2018)
Helena (734 pages) est disponible depuis le 22 Août 2018 aux Editions Rivages.
L'histoire (éditeur) :
Une décapotable rouge fonce sur l'Interstate. Du sang coule dans un abattoir désaffecté. Une présence terrifiante sort de l'ombre. Des adolescents veulent changer de vie. Des hurlements s'échappent d'une cave. Des rêves de gloire naissent, d'autres se brisent.
La jeune Hayley se prépare pour un tournoi de golf en hommage à sa mère trop tôt disparue.
Norma, seule avec ses trois enfants dans une maison perdue au milieu des champs, essaie tant bien que mal de maintenir l’équilibre familial.
Quant à Tommy, dix-sept ans, il ne parvient à atténuer sa propre souffrance qu’en l’infligeant à d’autres… Tous trois se retrouvent piégés, chacun à sa manière, dans un engrenage infernal d’où ils tenteront par tous les moyens de s’extirper. Quitte à risquer le pire.
Et il y a Helena…
Mon avis :
Hayley Hives, 17 ans, doit participer à un tournoi amateur de golf et part pour l’occasion s’installer chez sa tante Olivia dans le Missouri afin de profiter d’un terrain de golf privé appartenant à l’un de ses voisins. En froid avec son petit ami, qu’elle a surpris la veille avec un autre, elle jette, furieuse, son portable et quitte précipitamment Wichita au bord de sa Chevrolet rouge de collection offerte par son père. Mais en chemin, elle tombe en panne en plein milieu d’un champ, sur une route déserte.
Heureusement, Norma Hewitt tombe sur elle et lui propose de tracter sa voiture jusqu’à sa ferme où elle pourra demander par téléphone l’aide d’une dépanneuse. Le problème mécanique semblant plus sérieux qu’elle ne l’espérait, elle est contrainte de rester dormir chez les Hewitt, au plus grand plaisir de Tommy, 17 ans, le cadet de la famille.
« Sur le chemin de la maison, aucune des deux ne leva la tête vers celui qui, les observant du deuxième étage, arborait son plus beau sourire en pensant à tout ce que cette nuit allait lui réserver. » page 141-142
Le drame arrive très vite. Hayley est violentée, la voiture incendiée et Norma, incapable de gérer les évènements concernant son fils coupable et la victime, le passé refaisant surface violement…
« C’est de sa faute, murmura Tommy en gardant le regard baissé, il ne veut pas me laisser tranquille, c’est lui qui me force à faire des choses, maman ? » page 171
« Au premier étage, elle se figea face à la porte du fond du couloir, celle de l’ancienne chambre de Tommy, fermée à clé depuis si longtemps.
Condamnée, comme tout le passé qu’elle referait.
Pourtant c’était comme si elle avait été ouverte par inadvertance, et que le mal retenu à l’intérieur pendant tant d’années les avait à nouveau infectés. » Page 172
Mère au foyer qui ne vit que pour et par ses enfants (Graham, l’ainé, Tommy, le cadet et Cindy la petite dernière qui doit très prochainement participer à son premier concours de mini miss à Tulsa), Norma est prête à tout pour tenter d’arranger la situation, faire en sorte que Tommy ne paye pas le prix fort, y compris le pire…
Pour comprendre les actes des uns et des autres, pour déceler tous les enjeux, le passé de la famille Hewitt (mais plus tard aussi celui des Hives) se dévoile tout doucement sur fond de cauchemars peuplés de monstres.
Jérémy Fel joue sur ainsi deux créneaux, l’amour maternel au centre même de l’histoire et l’épouvante, celle qui habite divers personnages et le lieu (une ferme maudite pleine de présences inquiétantes, chargée d’histoire qui fait d’ailleurs écho au précédent titre de l’auteur : Les loups à leurs portes) et évidement celle qu’il distille dans sa narration.
Après un premier chapitre particulièrement violent et gore qui instaurent une ombre sur tout le déroulement du livre, l’auteur laisse planer une certaine forme de tension dans le quotidien banal où la violence est partout palpable et les différents détails qu’il parsème régulièrement tels que les clins d’œil à Stephen King avec la voiture rouge de Christine, à Massacre à la tronçonneuse avec l’abattoir, à la littérature enfantine et d’horreur faite d’ogre, de corbeaux et de figures fantomatiques, comme La Tour d’écrou, où se mélangent folie et fantastique).
Addictif par son côté inquiétant mais surtout par ses personnages qui s’humanisent au fil de la lecture, Helena est un roman qui gagne en intensité et en intérêt à mesure qu’on s’enfonce dedans.
Impossible de savoir précisément vers quoi on va (et l’épilogue vient une bonne fois pour toute tout remettre en perspective éclairant autant le titre que le roman) et pourtant la narration est faite de telle sorte qu’on est happé, totalement pris dedans. L’image des mots particulièrement puissante nous projeté dans l’univers dont il est bien difficile de de défaire (les courts chapitres jonglant d’un personnage à l’autre accentuant cet effet d’addiction proche des séries télévisées).
Je m’attendais à lire un thriller et même si on peut considérer Helena comme tel d’une certaine manière, il s’agit avant tout d’un roman sur l’amour maternel et les drames familiaux.
J’ai apprécié le lieu (vaste territoire du Kansas sujet aux tornades dont Helena aurait très bien pu être le nom de l’une d’entre elles, toute proche et de plus en plus menaçante), le coté étouffant (qui lui donne ce petit côté roman noir) mais j’ai surtout aimé l’abîme dans lequel Jérémy Fel entraîne ses personnages. Leur psychologie gagne en profondeur, on ressent pour eux quelque chose de totalement différent qu’au moment de notre rencontre avec eux et, de manière naturelle, presque logique, l’empathie se fait pour chacun d’eux, s’amplifie ou s’étiole. Victime ou bourreau, impossible de véritablement se positionner. On est là constamment en évolution en termes d’émotions. C’est très intense.
Jérémy Fel est un auteur qui joue beaucoup avec sa narration. Il nous offre tout d’abord des personnages tellement cliqués qu’ils deviendraient presque caricaturaux mais qui se construisent au fur et à mesure pour gagner en humanité et surtout en épaisseur. Il jette de nombreuses références littéraires/cinématographiques dans son intrigue et manipule les différentes figures du mal de telle sorte que la trame d’apparence classique en devient en réalité beaucoup plus complexe.
Roman d’amour filial, qui soulève de nombreuses problématiques autour de l’enfance (traumatismes, abus et absence d’amour, sacrifice, non-dit), Helena est un gros pavé de plus de 700 pages qu’on ne voit pas passer tant ses cotés anxiogène, visuel, attachant sont forts. Et ce, sans pour autant avoir besoin d’user de coups de théâtre récurrents.
J’en suis ressortie sonnée !
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