Hélène Duffau : Vingt et une heures
Vingt et une heures d’Hélène Duffau 4/5 (05-01-2015)
Vingt et une heures (126 pages) sort le 28 janvier 2015 aux Editions Ecole des Loisirs dans la collection Medium Grand Format.
L’histoire (éditeur) :
« Je suis au pain », c’est le mot banal que trouve Pauline sur la table en se levant ce matin-là. Tout dans son corps lui crie que quelque chose ne va pas. D’abord, on ne met pas autant de temps à aller chercher le petit déjeuner. Et puis, il y a Émilien qui ne se lève pas. Et qui une fois sur la plage flirte avec le danger. Vingt et une heures, c’est le temps que va mettre la mère de Pauline et d’Émilien pour revenir ; vingt et une heures c’est aussi le moment charnière où une jeune fille pleine de doutes apprend à faire confiance à la vie.
Mon avis :
Emilien, 13 ans, et Pauline son ainée de 23 mois ont perdu leur papa il y a deux ans lors d’une chute de cheval. Convaincue par les médecins qu’il ne sortira jamais du coma, leur maman a pris la difficile décision de le « débrancher » de cette vie artificielle. Aujourd’hui, en cette période de vacances de noël, tous les trois ont choisi de venir passer quelques jours dans la maison du bord de l’océan. Ce petit coin de tranquillité, coupé du monde, à 9 kilomètres du village (et de la première cabine téléphonique, de l’épicerie, de la boulangerie…de la vie, quoi !).
Ce matin, quand Pauline se réveille, maman est absente. « Je suis au pain » laisse t’elle sur la table. Alors Pauline patiente. 9 kilomètre ce n’est pas si loin, une heure devrait suffire. Sauf que cette matinée se révèle particulièrement trainante. Entre Emilien, champion de grasse matinée, et maman qui ne revient pas, Pauline se sent seule. Et ce n’est que le début de la journée. La peur de vivre un nouveau drame va la posséder et l’obsession que quelque chose de moche risque d’arriver ne plus la quitter.
« C’est dur, Papa, de continuer à vivre sans toi. C’est terrible même. Je ne sais plus à qui confier mes secrets maintenant. Emilien ne comprend pas tout et j’ai peur d’inquiéter Maman. En plus, je ne comprends rien avec elle. Avec toi, c’était facile. Je pouvais tout te dire et tu m’aidais à comprendre les choses importantes. Tu m’aidais à rester dans ma voie, tu étais mon guide. Depuis que tu es parti, j’ai l’impression de flotter dans ma vie. Je me sens ballottée d’un événement à l’autre. Je n’arrive plus à reprendre pied. Je ne rien plus vraiment. C’est comme si quelque chose avait durci et me rendait coriace. Moins légère. Méchante aussi.
Le mot « méchante » a raisonné à mes oreilles. Je venais de parler à haute voix ! Que cette matinée était difficile à passer. Je sentais le temps s’étirer seconde après seconde. Un temps ralenti, quasiment immobile. J’ai éprouvé le besoin de pleurer. Ma mère me manquait, mon père terriblement, et mon frère qui ne voulait pas se lever…j’étais abandonnée de tous. » Page 67-68
Quand enfin Emilien est prêt, ils filent tous les deux faire une partie de « mange-sable » (une invention de jeunesse qu’ils n’ont jamais abandonnée). La partie tourne mal et rend Pauline aveugle un court instant, un léger moment qui s’éternise doucement au fil de ses pensées. Juste le temps que le drame happe son petit frère. Et maman qui n’est toujours pas rentrée….
Vingt et une heures est l’histoire de ces trois êtres meurtris. Destiné principalement aux 12-16 ans, ce nouveau titre de la collection Médium brille par l’intelligence des propos de la narratrice. Pauline, que j’ai trouvé intelligente, sensible et douce, raconte ce moment en famille et livre ses pensées.
On trouve dans ce joli texte beaucoup de bon sens et de maturité, de quoi faire réfléchir les jeunes sur la complexité du monde des adultes, l’éducation, les réactions (parfois violentes ou mal maîtrisées), la famille (et sa place au sein de celle-ci), la fragilité des choses et des êtres… Pauline est une adolescente qui a la particularité d’être orpheline de père, à ce détails (de poids) près, elle est tout à fait ordinaire. Lire ses doutes, ses peines, et ses réflexions sur ses amitiés, l’amour (et sa « normalité »), sur ses rapports avec son frère Emilien qu’elle chérit et avec qui elle aime échanger mais qu’elle aimerait parfois imaginer n’avoir jamais existé (possédée par une curieuse envie d’être fille unique), parlera à beaucoup de lecteurs.
J’ai également beaucoup aimé ce texte pour les relations frère/sœur intelligemment mises en avant dans une intrigue tendue où la perte domine. Pauline et Emilien sont différents et en même temps complémentaires. L’un est très à l’écoute, en harmonie et serein, l’autre est plus réfléchie, toujours en train de cogiter et en même temps distraite. Les voir réunis dans ce moment difficile et dans l’attente serre le cœur. Et je ne vous parle pas de la tension que le bord de plage va faire monter chez Pauline tout autant que chez le lecteur. Hélène Duffau use d’une écriture (aux phrases courtes) qui renforce les sentiments de Pauline et la sensibilité du texte.
« Je pense à mon père parti à jamais. A ma mère qui n’est toujours pas revenue de sa course au pain, ce qui est très étrange, inquiétant. A mon frère confronté au plus fort des éléments, mon frère que je ne supporterais pas de perdre….j’ai l’impression de devenir folle. Une fois de plus tout m’abandonne. J’éprouve que rien n’est fiable dans ce monde, que les êtres les plus importants peuvent disparaître à chaque instant en me laissant avec un immense sentiment de vide. Un sentiment de totale impuissance. » Page 51
Bref, Vingt et une heures est un court texte qui tient bien l’attention. Attaché au devenir des personnages attachants le jeune lecteur ne les quittera pas avant d’avoir lu la dernière page.
A découvrir aussi
- Dominique Joly et Bruno Heitz : L'histoire de France en BD
- Jenny Valentine : La double vie de Cassiel Roadnight
- Olivier Tallec et Laurent Rivelaygue : Kevin et les extraterrestres : Et voilà le travail !
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 292 autres membres