Libre-R et associés : Stéphanie - Plaisir de lire

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Hafid Aggoune : Anne F.

Anne F. de Hafid Aggoune    4/5 (04-08-2015)

 

Anne F. (165 pages) sort le 27 août 2015 aux Editions Plon.

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L’histoire (éditeur) :

 

Anne Frank peut-elle réconcilier un homme désespéré avec son époque ?
Après un attentat commis par l'un de ses élèves, qui réveille les plus sombres heures de la vieille Europe, un professeur est au bord de l'effondrement.
Rongé par la culpabilité, décidé à en finir, il redécouvre un soir le Journal d'Anne Frank ; bouleversé par son actualité et sa vivacité, il se met à écrire à sa « petite soeur juive » disparue à quinze ans à Bergen-Belsen.
Entre ses lignes, la jeune fille vive et courageuse renaît, avec son désir d'écrire, sa volonté de devenir une femme indépendante et forte, et sa vision d'un monde meilleur.

 

Mon avis :

 

« Depuis ce maudit jour de l’attentat, je porte un goût de sang qui me dit à chaque seconde que je suis coupable. »

« Aujourd’hui, plus rien n’a de saveur, je me sens vidé, rongé par un éther au creux des veines. »

 « Les rues, les boulevards, les avenus sont devenus des chairs ouvertes et j’ai du sang sur les mains. Moi aussi, je suis un monstre, puisque j’ai laissé un monstre grandir. Vivre avec cette culpabilité serait pire que mourir. »

 

Le narrateur, rongé par la culpabilité et la honte, a décidé d’en finir avec la vie. Avant de passer à l’acte, il tombe sur le journal d’Anne Frank  qu’il décide de relire. Ce texte découvert  à 15 ans, sonne pour lui comme une révélation : l’envie d’écrire à cette jeune fille courageuse et pleine de vie, de lui parler de lui, d’elle et de notre monde devient une nécessité, un moyen d’évacuer l’amertume et la tristesse qui l’habitent et d’analyser les choses, tenter de les comprendre.

« Jahrel est le nom de ma défaite, comme le nom d’une bataille perdue, celle qu’il fallait remporter à tout prix, celle dont tout dépend. Et je ne suis pas loin de penser qu’elle est celle pour laquelle mon pays, la France, se doit de sortir victorieuse, au risque de voir son avenir assombri pour de longues et difficiles années. »

« J’avais échoué dans le combat le plus important de ma vie d’enseignant, mais j’étais loin d’imaginer que cette peine n’était rien face à ce qui allait suivre et qu’il m’amené à t’écrire, Anne. »

 

Cette lettre à celle qu’il qualifie de « petite sœur juive », est l’occasion  de parler de lui, de ses relations avec son père, des faits divers  qui le touchent tant, de ses faiblesses actuelles, de notre société obtuse qui a perdu (ou qui n’a peut-être jamais gagné) le bon sens nécessaire à l’amour de l’Autre et l’acceptation au-delà des différences.

« Nos époques ne sont pas si éloignées : un large ciel enflé de ténèbres les relie, nous laissant parfois impuissants. »

 

En faisant sans cesse le parallèle entre sa vie et cette d’Anne, il revient sur l’existence de la jeune fille. A travers cette correspondance, il lui redonne vie, tout autant qu’en évoquant son image éternelle, symbole d’espoir et de courage qu’elle véhicule et qui a su traversé les décennies.

« Je t’imagine, petite tornade brune, intenable avec tes yeux marron clair pailletés de minuscules éclairs, l’esprit traversé par une foule d’idées, enfant joyeuse, souriante avec tes fossettes charmeuses. »

« Tes mots t’ont vengée, se répandant dans les cœurs, semant le trouble chez les sceptiques, amenant ton père à sortir ses propres armes pour le combat de ta vie : te donner une seconde fois la vie, la plus belle, l’éternelle, en dépit des contradicteurs, des négationnistes et des controverses. »

« Ne pas avoir vécu pour rien. Tu as fait en deux années recluses plus que beaucoup ne font en quatre-vingts ans d’existence, toi qui as eu les ailes brisée dans ton élan vers la vie. Ton vœu aura été exaucé. Tu es même devenue un astre à la lumière sans âge, hors distance, hors temps… »

« Tes mots ont fait renaître ton propre père après Auschwitz, avant de faire tenir debout des millions de lecteurs, et ils me tiennent encore en vie, moi qui m’apprête à m’en aller au-delà de ce bord de fenêtre. »

 

La relecture du journal est aussi l’occasion pour lui d’aborder le poids des mots et l’importance de la lecture à titre personnel et universel, devenant un remède à certains mots, salvateurs et réconciliateurs. 

« Toute mon enfance, lire m’a rempli d’autres voix que celle de mon père, omniprésence, quasi divine. La lecture terrassait mon père et l’éloignant de  moi, comme un talisman. Toute mon enfance, lie m’a rempli d’autres voix que la sienne. »

« Tu le sais, Anne, je me suis construit pat les livres, pour eux, à travers eux, autour d’eux, entouré par leur présence réconfortante, enrichissante et profonde mais aussi en cherchant des pères dans les écrivains, des peintres et des philosophes, parce que le mien n’avait pas su être  la hauteur… »

« Lire donne une force inébranlable, apporte la liberté et la paix intérieure »

 

Anne F. est un texte très beau dont il faut souligner la densité poétique et émotionnelle tout autant que sa portée réaliste.

Pleine de sagesse et criante de vérité, cette lettre fait réfléchir et chaque mot sonne à l’oreille, au cœur et à l’esprit avec dureté et émotion.  A chaque page tournée, je ne pouvais m’empêcher de souligner certains passages (très, très, très nombreux)  qui avaient un sens à mes yeux et une force affective importante.

« Je ne crois pas en Dieu, mais en l’Homme et en la Femme, seuls responsables du bien et du mal de notre monde. Mes dieux invitent à la liberté, l’ouverture d’esprit, à l’universel et à l’union. Mes dieux ont écrit plus d’un livres. »

 

Choisir Anne Frank comme interlocutrice est fort, brillant, touchant, intelligent et marquant. Hafid Aggoune  nous permet de (re)découvrir la jeune fille, comme la connaître sans l’avoir connue. Il redonne aussi à Otto Frank, son père, toute l'importance qui lui est due en faisant du destin de sa fille un emblème.

« Abandonner ou résister ?

Ton écriture a répondu pour toi à cette question.

Abandonner ou pas ? Ton père, Otto, a choisi en perpétuant ta mémoire et a, du même coup, tué la mort. (…)

Otto Frank n’a jamais abandonné.

Il a vécu, a supporté un deuil infini, entouré par l’ombre des absentes, heureux  de voir tes mots courir le monde. »

« Ton père a couru toute sa vie pour que ton visage ne s’éteigne jamais à ses propres yeux ni à ceux du monde, pour que la flamme reste en vie, celle de votre histoire, la tienne et celle de tous ceux de l’Annexe, reclus et justes, et celle de tous les autres disparus, effacés de la surface de la terre par l’Innommable. »

 

En bref : Pardon de vous avoir inondés de citations, mais elles parlent mieux que moi de ce magnifique roman. Car, Anne F.  est  un texte très intéressant qui se lit d’une traite et dont on ressort ému, avec l’insaisissable envie de relire Le journal d’Anne Frank.

« Tu es l’espoir, Anne, adolescente aux larmes noires et lumineuses. En t’écrivant, je comprends maintenant que je ne veux pas l’abandonner. »

 « En te relisant, j’ai appris qu’il ne faut jamais s’effacer, ne rien laisse à l’oubli ni à la mort.

Je suis vivant, pas mort, ni absent. »

 

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26/08/2015
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