Amity Gaige : Schroder
Schroder d’Amity Gaige 3,5/5 (16-03-2014)
Schroder (342 pages) est paru le 6 mars 2014 aux Editions Belfond.
L’histoire (éditeur) :
Erik Schroder attend de passer en jugement. Conseillé par son avocat, il se décide à coucher sur le papier une confession, pour Laura, son ex-femme, pour les jurés, pour lui-même. Et les souvenirs affluent…
Son arrivée en Amérique à cinq ans, seul avec son père, et sa décision de laisser pour toujours le passé derrière lui. Son mariage avec Laura, la naissance de Meadow, puis la séparation et la lutte pour obtenir un droit de garde. Et cette journée au lac entre père et fille, moment privilégié tant attendu et vite transformé en escapade innocente, pour grappiller quelques heures, quelques jours. Dire enfin à Meadow qui est son père, et qui elle est, elle.
Mais quel est ce secret que Schroder a caché à sa propre fille ? Qui est-il véritablement et comment a-t-il pu commettre pareille folie ?
Mon avis :
Schroder, véritable nom d’Erik Kennedy, a décidé d’écrire un texte à sa femme, une sorte de justification de ses actes dont il est accusé : l’enlèvement et la mise en danger de Meadow, sa fille de 6 ans. Il revient aussi au fil de sa narration (et de manière décousue) sur son enfance difficile en Allemagne de l’Est, son arrivée aux Etats Unis, son adolescence faite d’humiliations et sur sa nouvelle identité qu’il s’est fabriquée à 14 ans pour s’intégrer en s’américanisant (quoi de mieux qu’un Kennedy !). A trente ans, il rencontre Laura, qu’il épouse mais dont la relation se solde vite par une séparation de corps. Leur enfant est confié Laura, ne laissant à Erik le droit de profiter d’elle qu’un week-end sur deux. L’arrangement, qu’il a lui-même orienté par amour pour son épouse, ne lui convient pas du tout et le rend de plus en plus déprimé. Malheureusement quand il tente de faire modifier cet accord, la situation lui échappe, et même si rien ne prédestine Erik à un acte de folie, les faits s’enchaînent pour arriver à son procès pour enlèvement. Aujourd’hui, il tente d’expliquer sa non-préméditation et le concours de circonstances qui a transformé son week-end « aventure » en course à travers la Nouvelle-Angleterre.
Erik Kennedy-Schroder n’a pas un mauvais fond, c’est un homme blessé (depuis trop longtemps) qui accumule les erreurs et dont il ne semble plus capable de se dépatouiller. Son récit tend à le rendre touchant, sans que ce soit forcément ce qu’il cherche à montrer. Même si son discours ressemble en tout point au départ à une demande d’indulgence et d’excuse, Schroder s’exprime finalement plus pour s’expliquer, et se confesse sans véritablement chercher le pardon. Il communique son amour inconditionnel pour sa petit Meadow (dont il s’est occupé pendant un an) et le secret qui l’accable depuis plus de 20 ans. Le parti pris de ne suivre que cet homme (presque bouleversant) dans ses droits de garde, permet de prendre conscience des douleurs engendrées dans ces combats et les difficultés psychologiques qui en découlent.
Amity Gaige donne de l’intensité à son roman avec l’utilisation de la première personne, mais cette forme entraîne aussi beaucoup de digressions. Même si les flashbacks permettent de cerner le personnage, de comprendre son état d’esprit et ses faiblesse, ils ralentissent le rythme de lecture, et certains passages peuvent agacer le lecteur (ses réflexions sont certes plein d’intérêt mais digressent très largement de l’intrigue principale). Malgré ce défaut, j’ai trouvé que les émotions suscitées par cette lettre prenaient le dessus. J’ai ainsi pris plaisir à découvrir cet homme plus en profondeur, autant qu’à suivre le road trip père-fille plein d’innocence et d’amour. Enfin, il y a comme une espèce de tension qui se tisse doucement, annonçant presque un drame. Entre le comportement irréfléchi d’Erik, ses choix peu propices à un père de famille en cours de divorce et un retour en arrière impossible. L’étau se resserre inévitablement pour Erik dont on sait où finira l’échappée mais comment et à quel prix ?
Amity Gaige a une écriture vraiment agréable. J’ai trouvé original et culotté le choix de cette longue lettre. Même avec ses longueurs, c’est un choix pertinent qui laisse un sentiment de malaise, partagé entre le jugement de sa faute et l’envie de pardonner, la curiosité (pour un homme obnubilé par son passé dont il n'arrive pas à faire face) et l’empathie (face à un père détroussé de ses droits). C’est un portrait d’homme ambigu qu’elle dresse avec soin et dont chacun se fera sa propre opinion (entre compassion et irritation).
Bref : Schroder, premier roman traduit en France d’Amity Gaige (qui est en fait son troisième écrit), est étonnant. Je ne m’attendais pas du tout à ça. J’en ressors emballée mais aussi un peu troublée.
A noter : Schroder est inspiré de la vie réelle Christian Gerhartsreiter, un allemand installé aux Etats-Unis à la fin de son adolescence, qui a vécu sous plusieurs noms d’emprunts et qui a enlevé sa fille durant 6 jours (avant d’être arrêté) après son divorce et la garde limitée qui lui a été accordée.
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