Libre-R et associés : Stéphanie - Plaisir de lire

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Anosh Irani : Le colis

Le colis d'Anosh Irani   4,25/5 (01-01-2018)

 

Le colis (332 pages) est disponible depuis le 4 janvier 2018 aux  Editions Philippe Rey (traduction : Mélanie Basnel).

 

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L’histoire (éditeur) :

 

Madhu est une hijra : née dans un corps d’homme, amputée de ses attributs sexuels masculins, elle est une sorte de troisième sexe, ni homme ni femme. La quarantaine passée, après des années de prostitution, Madhu doit mendier pour vivre et rester auprès de sa gurumai, sa guide. Par l’entremise de cette dernière, Madame Padma, tenancière redoutée, lui confie une mission qu’elle ne peut refuser : s’occuper d’un colis. Les colis, ce sont ces fillettes, vendues par leurs familles pour devenir des esclaves sexuelles, à qui il faut faire comprendre que leur sort est scellé, qu’elles ne pourront jamais s’échapper de Kamathipura, le quartier rouge de Bombay.

Beaucoup de souvenirs remontent à l’esprit de Madhu : son enfance engoncée dans un corps qui n’était pas le sien, sa rencontre avec celle qui fera d’elle une hijra, le rejet de sa famille, ses années fastes, puis les regrets, la nostalgie, les remords aussi. Malmenée par la vie, éminemment lucide, Madhu raconte la noirceur du monde dans lequel elle vit. Pour autant, une petite lueur continue à lui dire qu’une rédemption est possible – si ce n’est pour elle, peut-être pour les autres.

 

Mon avis :

 

 Le colis ou la terrible histoire de Madhu, jeune garçon de 14 ans mal dans son corps et pas à sa place dans la société, devenu à 14 ans, une Hija.

« Chacun à sa propre vision de ce que je suis. Ou de ce qu’i veut que je sois.

Celui que j’aime le moins, c’est le terme telugu qu’on attribue aux gens comme nous : Thirunangai.

« Monsieur femme ».

Aussi étrange que cela puisse paraitre, mes parents ont été les seuls à ne pas se tromper.  Ils ont baptisé leur fils Madhu ; un nom si merveilleusement unisexe que j’ai pu m’y glisser et en sortir à ma guise jusqu’à mes quatorze ans. Et puis un jour, d’un geste souple, cette chose entre mes jambes a été relevée de ses fonctions. A l’ai de ‘un couteau que je tiens dans la main en ce moment même. Je suis devenu un eunuque. (…)

L’appellation qui me convient le mieux, la plus juste selon moi, est aussi la plus courante : hija – « migration » en urdu, un mot que nous, hijas, nous sommes approprié parce qu’à nos yeux il a du sens. » Page 7-8

 

Après des années fastes et de grands succès, Madhu a aujourd’hui la quarantaine et, vieillissante, est obligée de mendier pour gagner de quoi vivre et payer sa place chez Gurumai, l’une de celles qui les recueille (et exploite), devenue sa famille, même si elle garde au fond d’elle une petite place pour ceux qui l’ont abandonnée…

« À tous ceux qui étaient malades de l’intérieur, Gurumai apportait de l’espoir. C’est ce qu’elle a fait pour Madhu. Quand Gurumai l’avait sauvée de sa famille, Madhu était une petite âme tremblantes et paniquée, coincée dans le mauvais corps. Elle l’était toujours. C’était quelque chose que personne ne pourrait jamais changer. Mais, au moins, Gurumai l’avait aidée à ne plus trembler. » Page 23

 

A travers son histoire c’est également celle de Kinja, une fillette de 10 ans vendue par un membre de sa famille à la tenancière d’un bordel, gardée dans une cage au grenier afin d’être préparée et formatée pour devenir une bonne marchandise. C’est Madhu qui se voit confier cette tâche par Madame Padma, mère maquerelle passée d’esclave sexuelle à 13 ans (puis prostituée à 18) à propriétaire d’un des plus importantes maisons closes du quartier de Kamathipura, à Bombay. Les enjeux sont grands et à mesure que la menace des promoteurs immobiliers grandie, Madhu retrouve un semblant de clairvoyance. Son travail d’asservissement sera exemplaire mais …

« D’une certaine manière, elle avait le sentiment de faire quelque chose de bien, ne serait-ce qu’une miette, non, une particule de bien, dans le sens où elle couvrait le colis aussi délicatement que possible, essayait de sauver quelque chose dans tout ce gâchis. » Page 179

 

Le colis c’est aussi l’histoire d’un quartier où toutes les violences, trafics en tout genre, esclavagisme, corruption ont cours et où la résilience côtoie l’horreur.

Anosh Irani raconte de telle sorte que l’image, la métaphore et le vocabulaire aident à supporter l’horreur, l’hypocrisie et les faits. Ainsi, sans être atténués, déconsidérés, ils sont portés par la beauté de l’écriture. C’est une récit difficile évidement d’autant que l’auteur est en même temps très loquent mais il ne manque pas d’apporter de la tendresse, de la sensibilité et beaucoup d'humanité.

« Dans le grand jeu du trafic sexuel, les participants étaient toujours les mêmes : une personne de confiance ou un membre de la famille du colis ; l’agent en charge des colis, plus communément appelé le dalal ; enfin le propriétaire du bordel. C’étaient là les constantes, un trio qui fonctionnait en parfaire harmonie, comme des étoiles alignées dans les cieux, des constellations produisant toues le même effet : une explosion de douleur.  Pour ce colis-là, la douleur n’était encore qu’à l’état de bourgeon, une promesse des jours à venir, et personne ne savait ça mieux que Madhu. » Page 57

 

Les personnages sont très justement développés (il y a beaucoup d'intelligence ici). Les relations sont explorées avec soin et discernement. Aucun jugement ni manichéisme.

Le colis est un roman bouleversant, édifiant et passionnant (malgré les situations et les événements parfois difficiles à appréhender et à supporter). On découvre là l’histoire d’un pays, ses traditions et ses légendes, mais aussi une réalité, celle des transgenres et des laissés pour compte. 

L’auteur, originaire de la région, nous livre là une histoire réaliste sombre lumineuse. Et terriblement percutante !



30/01/2018
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