Yana Vagner : Vongozero
Vongozero de Yana Vagner 4/5 (06-09-2014)
Vongozero (470 pages) est sorti le 4 septembre 2014 dans la collection Horizons Pourpres des Editions Mirobole (traductrice Raphaëlle Pache).
L’histoire (éditeur) :
Anna vit avec son mari et son fils dans une belle maison près de Moscou. Un virus inconnu a commencé à décimer la population. Dans la capitale en quarantaine, la plupart des habitants sont morts et les survivants — porteurs de la maladie ou pillards — risquent de déferler à tout instant. Anna et les siens décident de s'enfuir vers le nord, pour atteindre un refuge de chasse sur un lac à la frontière finlandaise : Vongozero. Bientôt vont s'agréger à leur petit groupe des voisins, un couple d'amis, l'ex-femme de Sergueï, un médecin... Le voyage sera long, le froid glacial, chaque village traversé source d'angoisse, l'approvisionnement en carburant une préoccupation constante.
D'une plume subtile, Yana Vagner happe le lecteur dès les premières pages avec ce récit d'une femme confrontée à une tension psychologique permanente et à une promiscuité subie, au cœur d'une Russie dévastée.
Mon avis :
Ce roman était à peine arrivé dans ma BAL et sa quatrième de couverture découverte, que je me suis jetée dessus. L’envie de dépaysement et de sensations fortes étaient grandes, et je ne doutais pas que ce titre tienne ses promesses.
Roman d’abord publié sous forme de billets-feuilletons sur le blog de l’auteure, Vongozero a soulevé un tel engouement qu’une agence littéraire l’a remarqué et a organisé une vente aux enchères entre éditeurs les plus offrants, le transformant ainsi en roman papier publié alors en Russie par Ekmo. Depuis sa sortie, il a déjà été nominé pour plusieurs prix (dont le National Bestseller), été traduit en cinq langues, et ses droits ont été vendus au cinéma.
Vongozero est clairement un roman post-apocalyptique dans la ligne de La Route de Cormac McCarthy, à un détail majeur près : sa protagoniste. Yana Vagner a choisi de mettre en avant une femme et d’en faire même sa narratrice, soulevant ainsi une empathie et une immersion sans doute plus fortes dans l’histoire.
Un mois et demi plus tôt avant que ne commence la narration, les établissements supérieurs de Moscou sont fermés pour quarantaine suite à une épidémie de grippe meurtrière. La situation est loin d’être catastrophique car si Micha, le fils adolescent d’Anna, est contraint de rester à la maison, son mari Sergueï continue de se rendre au bureau en ville. Les aéroports et gares sont d’ailleurs toujours en fonctionnement, laissant supposer une situation temporaire de précaution. Mais, quand le métro se retrouve fermé, les événements s’enchaînent très vite : on annonce 400 000 malades, les rayons des supermarchés commencent à se vider, un couvre-feu est instauré et l’entrée à Moscou devient soumise à restriction. Jusqu’à ce qu’un mois plus tard, la ville soit mise en quarantaine. La dégradation de la situation est presque inimaginable et la panique commence à gagner la population.
Le 7 novembre, Anna apprend la mort de sa mère (restée bloquée à Moscou). Deux jours plus tard, internet et le téléphone sont coupés, laissant seulement CNN diffuser les informations et annonçant la fermeture des frontières partout dans le monde.
« Et l’espace d’un instant j’eus l’impression qu’il s’agissait d’une soirée banale, comme nous en avions déjà passée tant, que nous étions tout simplement ne train de regarder un film insipide sur la fin du monde, dont le dénouement traînait un peu en longueur. J’appuyai ma tête sur l’épaule de Sergueï qui se tourna vers moi, me caressa la joue et me chuchota au creux de l’oreille, pour ne pas réveiller Micha :
- Tu as raison, bébé, c’est pas près de se terminer. » Page 30-31
Sur les conseils de son beau-père Boris, Anna, son fils et son mari quittent leur confortable maison à la campagne avec leurs voisins et la première femme de Sergei et leur jeune fils, pour rejoindre Vongozero, un lieu reculé à plus de 1000 kilomètres au nord, sur une petite île.
Lancés sur les routes de Russie (où les températures ne dépassent pas les moins 20 degrés), les neuf voyageurs savent qu’ils doivent partir loin et vite. La nécessité d’échapper à la grippe, aux pilleurs et à l’armée sans commandement est indiscutable.
Voilà le point de départ de ce roman. Durant plus de deux semaines, les neuf (puis les 11 et les 12) personnages vont tenter d’arriver à leur but.
Ce point de départ m’a tout de suite passionnée (j’aime ce genre de roman de fin du monde et de survie). Et la suite à réussi à me tenir en haleine sans me décevoir, même s’elle n’a pas pris tout à fait le chemin que je supposais et si l’action et les grands moments de tension n’ont pas été aussi présents que j’aurais souhaité en lisant le synopsis.
J’ai apprécié le choix du narrateur, qui est d’ailleurs en grande partie le succès de mon ressenti. Anna est une femme ! Une femme qui ne cache au lecteur ni ses véritables pensées à l’encontre des autres, des choix de certains, d’elle-même, ni ses craintes (des craintes qui ne sont pas toujours terre à terre d’ailleurs, et pourtant toujours justifiées). Vongozero est d’une grande crédibilité aussi bien dans les faits (il fait moins 20, les rations d’essence, de nourritures, de médicaments, de cigarettes s’amenuisent) que dans les rapports humains. Le thriller psychologique gagne du terrain sur le roman post apocalyptique. Les tensions entre certains personnages (jalousie, peur de l’autre, animosité et PROMISCUITÉ) sont parfaitement rendues et plus encore cette peur de se dévoiler et d’être vu telle qu’elle vraiment.
« Plus tard, dans la voiture, en l’observant qui conduisait avec la plus grande prudence tout en s’efforçant de ne pas me regarder, ne serait-ce que du coin de l’œil, de faire désespérément semblant que rien ne s’était produit, que cette dispute n’avait pas eu lieu, que nous ne nous étions pas criés dessus à nous briser les cordes vocales devant tout le monde, je me disais : eh bien, voilà ce que j’ai redouté pendant trois ans : que tu me voies telle que je suis en réalité, une simple mortelle capable de caprices, ce crier, de se mettre en colère ; j’aurais été prête à te céder sur de nombreux points, pourvu que tu ne remarques pas qu’en fait, entre la femme à laquelle tu as été si longtemps marié et moi, il n’y avait pas la moindre différence, c’était si important que tu ne le remarques pas, que cette pensée ne te vienne jamais à l’esprit, il me semblait que j’étais prête à sacrifier beaucoup pour que tu ne le soupçonnes jamais, mais il a suffi que la question devienne d’importance vitale, il a suffi que j’aie vraiment peur, et tout s’en est allé en fumée, en un instant ; (…) et même si ça n’a pas apporté le résultat escompté (…) tu n’oublierais jamais cette scène, tu te souviendras que la femme qui ne te contredisait jamais, celle qui était toujours d’accord avec toi, n’est plus ton alliée indéfectible. » Page 291-292
Anna, cette femme de trente-six ans, tout ce qu’il y a de plus ordinaire, donne une dimension particulière au récit. D’abord on s’attache et on s’identifie aisément à elle, et puis on est alors totalement pris dans son histoire. Et même si l’intrigue est longue et que l’action n’est pas omniprésente, les choix, les rencontres et les événements soudains et inattendus maintiennent une forme de tension palpable et addictive. Je me suis plongée dans les événements et dans la tête d’Anna avec facilité, attendant de savoir avec impatience et angoisse s’ils arriveraient enfin à toucher leur but et sans trop d’encombres. J’ai ainsi englouti ces presque 500 pages avec un grand plaisir.
L’écriture de Yana Vagner est simple et prenante. Je ne doute pas que son prochain roman soit tout aussi bon, c’est en tout cas, une auteure que je suivrai. Elle trouve ici le moyen de rendre son texte captivant et même excitant avec des petits riens, le rendant terriblement accrocheur.
Merci aux Editions Mirobole qui ont l’audace de publier des auteurs d’ailleurs, de pays moins souvent traduits (Turquie, Pologne, Moldavie, Russie…) et du coup de nous permettent d’ouvrir notre champ de découverte !
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