Oscar Lalo : Les contes défaits
Les contes défaits d’Oscar Lalo 4,5/5 (20-08-2016)
Les contes défaits (224 pages) est paru le 25 août 2016 aux Editions Belfond.
L’histoire (éditeur) :
Peau d'âme, noire neige, le petit poussé... Il était zéro fois... c'est ainsi que commencent Les contes défaits.
L'histoire est celle d'un enfant et de l'adulte qu'il ne pourra pas devenir.
Je suis sans fondations. Ils m'ont bâti sur du néant. Je suis un locataire du vide, insondable et sans nom, qui m'empêche de mettre le mien. La page reste blanche car tout ce qui s'y inscrit s'évapore.
Sans rien dire jamais de ce qui ne se montre pas, loin de la honte et de la négation, Oscar Lalo convoque avec ses propres mots, pourtant universels, la langue sublime du silence...
Et c'est en écrivant l'indicible avec ce premier roman qu'il est entré de façon magistrale en littérature.
Mon avis :
J’étais très curieuse à l’idée de découvrir ce premier roman dont le titres me semblait si énigmatique et plein de promesses. Et quelles promesses !
Celles d’un récit pénible mais d’une narration, à l’inverse, belle, sensible, pudique et mélodieuse.
« Il savait s’accorder avec nous et finirait par nous faire chanter. En silence. Un tube obsédant qui colle à la glotte. Sa guitare sa première arme. L’arme d’un joueur de flûte. » chapitre 4
Oscar Lalo s’économise, son style est concis directe et en même temps si vague. Les mots sont lâchés mais rien n’est dit. Ou plutôt tout est dit et surtout l’indicible !
« Ce sont nos parents qui nous conduisaient au train. A qui se plaindre quand c’est la police qui vous livre ? » chapitre 6
« Le fait est que nous avions peur. Intensément peur. Cette intensité répondait à la sienne. Et il en jouait, redessinant à dessein les frontières d’un pays supposé inviolable qui s’appelle l’enfance. Avec deux conséquences diamétralement opposées : certains devenaient instantanément adultes, les autres restaient indéfiniment enfants.
Dans les deux cas, on se sentait marqué du sceau. Dans les deux cas, on n’y comprenait rien. » Chapitre 8
On enquille les mots, les faits, les paroles, les confidences et on avale ces 79 chapitres avec amertume et tristesse. Les chapitres sont courts, les paragraphes réduits au minimum mais les mots sont de plus en plus délicats à lire, de plus en plus directs et les images font de plus en plus mal, serrant davantage le cœur à mesure que la parole se libère et que l’innommable se concrétise.
« Autre argument qui jouait contre nous : c’était cher, donc ça soulageait la conscience de nos parents qui se débarrassaient d’autant plus aisément de nous. Le prix élevé, loin d’aiguiser leur vigilance, les rendait aveugles. « C’est cher donc c’est bien », entendait-on répéter quand ils incitaient leurs amis à y envoyer aussi leurs enfants. Le home nous apprit très tôt que si l’argent ne fait pas le bonheur, il étouffe le malheur. Au poker, on paie pour voir ; au home, nos parents payaient pour ne pas voir. » chapitre 18
De quoi est-il question dans Les contes défaits ?
- D’un home où les parents envoyaient leurs enfants (dès 2 ans), tenu d’une main de maître par la femme, véritable tortionnaire, et son mari, véritable pourriture.
- D’un homme qui a croisé sorcière et ogre et qui doit retrouver désormais le chemin (sans qu’aucun caillou n’ait pu être semé) du bonheur de sa vie tout simplement, volée et brisée alors qu’il n’était qu’un gamin.
« L’homme et la directrice étaient les roues d’un même carrosse. Celui qui nous emportait loin de notre mère quel que soit notre âge. Pire : qui nous détachait de nous-mêmes. Car loin de notre mère, c’eût pu être notre chance de gagner autonomie, indépendance et force. Mais cette famille intérimaire nous bousculait tellement que toute notre énergie passait à rétablir notre équilibre.
Leurs gestes, par exemple. La directrice nous frappait et l’homme nous caressait. Estomaqués, nous acceptions les deux sans broncher. » Chapitre 23
« L’homme d’enfants savait jouer de sa palette. Avec les garçons, un virtuose de la touche : un art consommé de presser négligemment les tubes. Avec l’homme toucher n’est plus jouer : c’est toucher-couler.
Le temps que ça sèche, une bonne partie d’échecs : contre toute attente, il cachait la ligne des petits pions derrière les grosses pièces. Il se faisait volontiers prendre sa reine. Pour se coincer un petit fou dans la tour. Ainsi, caresser la cheville de mon frère pour me prendre la mienne, c’était cacher le coup suivant.
Il grossissait chaque jour son cheptel de pions dont lui seul connaissait le degré de maturation, de collusion, de crainte, de respect, d’envie parfois. » Chapitre 35
Ce qui avant nous parvenait au travers d’une image, d’une métaphore filée, d’une suggestion ou d’un silence finit par surgir sans détour. Les formules font mouche à chaque fois, les tournures sont lourdes et fines de sens. C’est dérangeant mais puissant.
Les contes défaits c’est le cheminement de son narrateur pour se reconstruire, passer de victime et coupable à celui d’homme, qui fait ce qu’il peut pour guérir de ses maux, pas seulement avec les mots.
« Ce journal, c’est ce type de soixante-cinq ans qui n’est pas moi mais me permet de l’être. Ces jeux de rôle m’épuisent mais je n’ai pas le choix. Ce type est mon dernier rôle. Va m’accoucher. Ce type est mon Sherlock Home. » Chapitre 50
« Tristesse de constater qu’il faut des dizaines d’années et toutes sortes de spéléologies pour commencer à comprendre, à mettre les mots sous les images. Écrits à l’encre sympathique, pour apparaître avec le temps. Elle m’a trop trempé dans l’encre antipathique, cette femme qui se tient là, ombre d’elle-même, dans l’embrasure de la porte, pendant que l’homme officie. » Chapitre 77
En bref : Un premier roman très réussi et magnifiquement écrit !
« On m’a privé d’enfance comme d’autres de dessert. Sauf que l’enfance, c’est l’entrée et le plat principal. À cause de l’homme d’enfants, je suis un homme enfant. Un enfant trop grand et un homme trop petit. Aucun pyjama ne me va. C’est peut-être pour ça que je ne dors pas bien. » Chapitre 79
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