Michael Farris Smith : Nulle part sur la terre
Nulle part sur la terre de Michael Farris Smith 5/5 (17-09-2017)
Nulle part sur la terre (360 pages) est sorti le 24 août 2017 aux Editions Sonatine (traduction : Pierre Demarty)
L’histoire (éditeur) :
Une femme marche seule avec une petite fille sur une route de Louisiane. Elle n'a nulle part où aller. Partie sans rien quelques années plus tôt de la ville où elle a grandi, elle revient tout aussi démunie. Elle pense avoir connu le pire. Elle se trompe.
Russel a lui aussi quitté sa ville natale, onze ans plus tôt. Pour une peine de prison qui vient tout juste d'arriver à son terme. Il retourne chez lui en pensant avoir réglé sa dette. C'est sans compter sur le désir de vengeance de ceux qui l'attendent.
Dans les paysages désolés de la campagne américaine, un meurtre va réunir ces âmes perdues, dont les vies vont bientôt ne plus tenir qu'à un fil.
Mon avis :
Attention roman noir prenant, totalement immersif et surtout addictif !
Nulle part sur la terre est l’histoire d’un rendez-vous. D’un rendez-vous improbable et pourtant salvateur.
« - Je croyais que vous étiez en prison, dit-elle.
-J’y étais. Je suis sorti y a environ trois jours. Pile à l’heure. » Page 250
Maben Jones, marche depuis des jours avec sa gamine Annalee et quelques dollars en poche, cherchant à rejoindre McComb, qu’elle avait quitté il y a des années. Mais pour une paumée comme elle, habituée aux emmerdes, il ne pouvait pas être question d’un retour sans encombres. Alors lorsqu’elle croise la route d’un vieux flic régulièrement impliqué dans des affaires limites, c’est avec une fatalité, mais pas sans un certain instinct maternel, qu’elle choisit d’aborder son destin.
Russel Gaines lui vient de quitter le pénitencier du Mississipi, prêt à revoir ceux qu’il n’a pas vu depuis 11 ans. Le comité d’accueil à l’arrivée donne le ton : sa dette envers les frères Tisdale est loin d’être payée….
Nulle part sur terre est de ces romans américains qui vous plongent très profondément dans l’ambiance du sud des Etats Unis. C’est noir, dégueulasse, pesant, faites de gens paumés (pas forcément mauvais mais loin d’être parfaits non plus !), taiseux, seuls, souvent la bouteille à la main, donnant ou recevant les coups, le décor est fait de grands espaces et de longues routes, un peu désolé aussi. Bref, c’est un vrai plaisir pour celui qui aime ce genre de bouquins.
« Il éprouvait souvent une grande sérénité lorsqu’il roulait sur les chemins de l’arrière-pays au plus profond de la nuit, les routes désertes et ce sentiment d’être séparé de tout ce qui vivait là-bas dans les lumières de la ville. Mais cette sérénité pouvait tout aussi bien se briser et s’éparpiller dans les recoins les plus sombres de la campagne quand il était soudain submergé par les pensées haineuses qui l’habitaient. » Page 203-204
Michael Farris Smith réussit admirablement à nous entrainer dans ce monde chaotique où même les émotions sont en contradiction. J’ai adoré sa plume et sa manière si forte de nous raconter ces deux personnages pour lesquels l’empathie se fait d’emblée. En déroulant leurs histoires respectives en alternance (dans de courts chapitres) l’auteur crée un rythme et une addiction très prononcée pour son récit. Ainsi même si l’action prend son temps, on ne ressent aucune lenteur. Au contraire, parce que l’auteur soigne ses descriptions et la psychologie de ses protagonistes, on a le sentiment de s’imprégner fortement des lieux et des habitants et on sa savoure ainsi les pages qui se chargent en émotions.
« L’orage grondait en lui depuis longtemps, et maintenant il était sur le point d’éclater. Les nuages s’étaient amoncelés en lui comme ils s’amoncellent parfois à l’ouest d’un ciel d’été, gris et menaçant, fondant sur l’horizon tels des vautours, chargés d’éclairs et de vent, laissant à peine le temps de fermer les fenêtres. Ce putain d’orage allait éclater, et quelqu’un allait se faire saucer. » Page 165
Nulle part sur la terre est un livre qu’on lit comme en équilibre sur un fil tendu. Car si c’est un livre intensément chargé d’espoir, il reste toutefois terriblement penché vers l’abime. Oscillant dangereusement entre le bon et le mauvais, il bouscule le manichéisme, alternant les ennuis et la lumière, la culpabilité et le besoin de rédemption, et laisse le lecteur vaciller entre l’envie d’un meilleur et la peur du tragique.
« Il la regarda. Son visage dans la lumière pâle du tableau de bord. Son visage épuisé. Son vieux visage. Pas encore trente ans mais déjà le visage de quelqu’un qui a perdu. Le visage de quelqu’un qui s’accroche. » Page 333
Nulle part sur la terre est vraiment un roman fort, un roman qu’on chérit encore longtemps après la dernière page tournée pour cette inquiétude constante éprouvée durant la lecture et le génie de l’auteur à nouer l’ensemble pour encore plus d’intensité.
« Il ne cherchait pas la rédemption. N’y avait jamais songé tout au long des années, des mois, des semaines et des jours égrenés jusqu’au moment de sa libération. Mais il lui semblait que c’était maintenant une possibilité, qui lui était soudain apparue sous la forme d’une femme aux joues creusées et d’une gosse au front brulé de soleil et il n’arrêtait pas de dire et de se dire qu’il avait payé et payé encore et qu’il était libre et sans reproche mais quelque chose le taraudait au fond de ses entrailles qui lui faisait sentir que ce sentiment était de moins en moins définitif. » Page 255
Je ne peux que vous conseiller ce très beau titre si vous n’avez pas peur de la violence et des sentiment intenses.
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