Libre-R et associés : Stéphanie - Plaisir de lire

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Jeremy Gavron : Je vous aimais, terriblement

Je vous aimais, terriblement de Jeremy Gavron 3.5/5 (07-04-2017)

 

Je vous aimais, terriblement (336 pages) est paru le 16 Février 2017 aux Editions Sonatine (traduction : Héloïse Esquié).

 

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L’histoire (éditeur) :

 

Londres, 1965. Hannah Gavron semble avoir tout pour elle. Une vie libre, deux enfants, des amis proches, des parents aimants, une carrière universitaire prometteuse et un livre sur le point d'être publié, L'Épouse captive, incursion féministe dans le monde des femmes au foyer. Quelques jours avant Noël, elle dépose son plus jeune fils, Jeremy, âgé de quatre ans, à l'école, rejoint l'appartement d'un ami dans le nord de Londres, calfeutre les portes et les fenêtres et ouvre le gaz. Elle avait vingt-neuf ans. Durant toute son enfance et son adolescence, Jeremy ne connaît rien de la fin tragique de sa mère. Après avoir découvert presque par hasard la dernière note écrite de sa main : " Dites aux enfants que je les aimais, terriblement ", il entreprend d'affronter ce passé traumatique. Qui était cette femme, sa mère, et pourquoi a-t-elle commis cet acte incompréhensible ? Quarante ans plus tard, Jeremy assemble patiemment les pièces du puzzle. Enquêteur tenace et passionné, il découvre des lettres, des journaux, des photos qui vont petit à petit restituer le portrait d'une jeune femme talentueuse libre et complexe, essayant de faire sa place dans un monde d'hommes.

 

Mon avis :   

 

« Dans son rapport, qui concluait au suicide, le coroner signaler que le mariage de Mme Gavron traversait une “ mauvaise passe”, mais que cela ne semblait pas suffire à expliquer pourquoi “ une jeune femme au palmarès universitaire tellement brillant, avec un emploi si gratifiant et des enfants en bas âge, avait pu en arriver à une décision si tragique”.  Il avait délibéré dans plus de mille sept cents affaires de suicide, disait-il, mais  jamais sur un cas “dans lequel la volonté de mettre fin à ses jours était plus nette”  tandis que “la cause (le)  plongeait dans une telle perplexité” » page 10

 

Hannah Gavron, 29 ans, mère de deux jeunes enfants, relativement heureuse dans son couple même s’il traversait quelques soucis conjugaux, sans aucun antécédent de dépression, habitant dans une jolie maison neuve proche de ses parents, brillante,  réussissant tout ce qu’elle entreprenait (sa thèse terminée, elle avait choisi de la remanier de sorte d’en faire un roman), en pleine réussite professionnelle (enseignante au Hornsey College of art) en plein milieu des années 60 où il était rare de voir une femme autant mise en avant (plus habituée à rester à la maison pour s’occuper du foyer et des enfants), est retrouvée dans l’appartement de son amie où elle a mis fin à ses jours.

 

Comment une femme à qui tout semble réussir a-t-elle pu en finir de la sorte, laissant derrière elle un époux, une famille et surtout deux enfants, dont Jeremy tout juste âgé de 4 ans ?

 « Hannah Gavron était ma mère. Je suis le fils qu'elle a déposé à la maternelle cet après-midi de 1965.  J’avais 4 ans.

Cette impression que ma mère était deux personnes différentes -  la belle Hannah, la fille brillante à l'esprit libre qui vivait pleinement sa vie, et la Hannah qui a mystérieusement décidé qu'elle ne pouvait plus vivre -  m'a accompagné durant toute mon enfance. » page 10

Celui-ci a ainsi grandi avec l’absence. Son père, qui a refait sa vie assez vite, a fait le choix de ne pas en parler, ne laissant que peu de trace d’elle, créant une sorte de secret autour de la femme (et de sa fin terrible), comme si elle n’avait pas existé.

 

En 2005, Jeremy Gavron, mariée et père de deux filles, apprend la mort de son grand frère, réveillant ainsi une douleur plus profonde, enfuie depuis 40 ans, écrasée par le silence familial.

« Je ne doute pas que je pleure la disparition de Simon, le sort de ses fils, toutes les choses que je ne lui ai pas dites, que je ne dirai jamais, désormais.

Mais ces montées de chagrin me paraissent si primitives, elles semblent issues d'un lieu si profondément enfoui en moi que j'en viens à me demander si la mort de Simon n'a pas du même coup débloquer en moi un deuil plus ancien, de la même façon qu'un séisme peut mettre au jour des décombres depuis longtemps enfouies en ouvrant une faille dans la terre. » Page 32

 

Le besoin de briser ce mutisme, sa formation de journalisme et ses antécédents d’écriture (dont un livre retraçant l’enquête sur la mort mystérieuse d’une jeune femme en Afrique), lui fournissent les base soldes pour déterrer ce tabou et ainsi connaître cette femme dont il n’a aucun souvenir.

« Ce n'est pas grand-chose, mais j'apprends à bricoler avec des fragments, à construire un ensemble à partir de bribes, tel un archéologue qui reproduit un pot à partir de quelques éclats.

Mais peut-être que j'ai toujours fait ça, que je vois le monde de cette façon depuis l'époque où j'étais un petit garçon, imaginant ma mère à partir du peu que j'avais le droit de savoir

 Page 127

 

Je vous aimais, terriblement est son enquête méticuleuse et personnelle. Il va ainsi peu à peu questionner, creuser, lire lettres et journaux intimes et reconstruire un portrait de femme en avance sur son temps, de jeune fille passionnée et passionnante cherchant toujours à être le centre d’intérêt, une fillette et une femme charismatique, séduisante et pleine de vie, moderne et lumineuse. Mais c’est aussi le portrait d’une femme troublée et complexe.

 

Jeremy Gavron dans un style délicat et honnête, va ainsi tenter, avec beaucoup de ténacité, d’assembler les éléments qui l’ont conduite au suicide, retracer le parcours de cette mère et surtout de la femme, dans un contexte d’ébauche de féminisme et de liberté à une époque où la femme n’était qu’une mère au foyer (« femme captive » le titre de son roman illustrait à merveille la condition de la femme).

Presque une enquête policière (le lecteur suit le parcours et vit les découvertes avec l'auteur), Je vous aimais, terriblement se révèle davantage une reconstitution biographique (comme une sorte de mémoire) touchante et troublante car cette rencontre avec la mère ne va pas se faire sans mal et sans révélations délicates (son rapport aux hommes et ses différentes relations, y compris à 14 ans avec K le principal de la pension). Une lecture fluide et prenante grâce aux chapitre courts et l’alternance des narrations (entre investigation et extraits de journaux) et aux photos qui permettent de mettre un visage sur le personnage.

 

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24/04/2017
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