Jean-Louis Fournier : La Servante du Seigneur
La Servante du Seigneur de Jean-Louis Fournier 3,5 (21-09-2013)
La Servante du Seigneur (160 pages) est paru le 21 août 2013 dans la collection La Bleue chez Stock.
L’histoire (éditeur) :
Ma fille était belle, ma fille était intelligente, ma fille était drôle…
Mais elle a rencontré Monseigneur. Il a des bottines qui brillent et des oreilles pointues comme Belzébuth. Il lui a fait rencontrer Jésus. Depuis, ma fille n’est plus la même.
Elle veut être sainte.
Rose comme un bonbon, bleue comme le ciel.
Mon avis :
Voilà très longtemps que je n’ai pas lu de Jean-Louis Fournier, un auteur qui m’a toujours laissé une bonne impression. Ses petites livres concis, à l’écriture simple et directe, mélangent autant d’humour que de tendresse. En est-il autant pour la Servante du Seigneur ? Ce dernier livre m’a laissé une impression étrange de plaisir et de tristesse. Il m’a plu par son style et beaucoup touché par, justement cette tendresse et par la nostalgie qu’il dégage.
Il est ici question de sa fille, qu’il a perdue quand elle s’est mise en couple avec Monseigneur. Ne vous y trompez pas, ce terme honorifique n’a pas grand-chose à voir avec la position de ce compagnon, mais plus d’une raillerie de la part de l’auteur en vers ce gendre qui se place plus haut que les autres (lui donne presque l’image d’un gourou).
« Elle est dans les ordres ou elle est aux ordres ? » page 40
« J’ai appris par sa mère qu’elle avait rencontré « quelqu’un ».
Il a étudié la théologie à la Faculté, il sera peut-être évêque ? Il écrit une histoire de la philosophie. Il parle le grec et la latin. Je suis ravi. J’ai toujours été impressionné par les intellectuels.
Monseigneur va remonter le QI familial. » Page 15
Depuis cette rencontre, sa fille s’est petit à petit transformée pour passer de brillante graphiste, gaie, ouverte et colorée en femme grise, terne, autoritaire, insensible et intolérante, souhaitant dorénavant rentrer dans les Ordres. La complicité qui unissait le père et la fille a disparu pour laisser la place à une relation de reproches constants.
« Avant tu avais un cerveau rose rempli de choses légères et charmantes. Il y avait de l’humour, des petites perles, qui brillaient, des oiseaux de paradis, des fleurs des champs.
Monseigneur a mis à la place du lourd : Aristote, des citations grecques et latines, des certitudes. » Page 29
« Elle pratique maintenant l’humour rose, pasteurisé, avec des vrais morceaux de fraise.
Elle est tombée dans la layette mystique. » Page 48
J’ai été marquée par l’attitude sectaire et intégriste de sa fille, allant souvent à l’encontre de ce que a religion m’inspire (ouverture, pardon, charité…). Sans vraiment la juger, ce père écrit ce qu’il a sur le cœur, ses souvenirs d’avant le changement (drôles et tendres) et d’après (plus cyniques et teintés de regrets). L’espoir est toujours présent et Jean-Louis Fournier espère profondément retrouver sa fille, la vraie, pleine de vie, de promesses et de talent.
Dans le récit d’anecdotes, l’auteur utilise le pronom personnel « elle » pour désigner son enfant. On se sent privilégié de vivre ses jolis moments de tendresse et parfois mal à l’aise, témoin de moments douloureux qu’il témoigne encore avec une certaine ironie qui fait sourire (ou rire jaune…). Et, à d’autres moments, le « tu » prend le dessus, comme un message direct à cette descendance qui n’attend maintenant plus que l’auteur trépasse pour mettre la main sur l’héritage, parce qu’il faut être généreux pour mériter sa place au paradis…
« « Jean-Louis, tu sais que tu vas mourir prochainement ?
_ Mais oui ma fille, je le sais. (…)
_ Tu as été un vieil égoïste, tu as fait du tort aux autres.
_ J’ai quand même quelques amis qui m’aiment bien.
_ Ils ne t’aiment pas. Ils sont intéressés par ton argent. Tu dois normalement être damné, aller en enfer. Mais Dieu est miséricordieux et infiniment bon, il te laisse une chance.
_ Enfin une bonne nouvelle.
_ Tu dois apprendre enfin à être généreux, tu dois me donner de l’argent. (…)
_ Combien faut compter pour une entrée au ciel ?
_ Arrête de te moquer, le problème n’est pas que je reçoive de l’argent, j’ai fait vœu de pauvreté. Le problème, c’est que tu cesses d’être un vieil avare, que tu deviennes enfin généreux. Je voudrais être fière de mon père. »
Cette conversation téléphonique date d’un an. » Page 50-51
C’est ainsi que, dans ce récit à la première personne, l’auteur livre un message d’amour et un cri de désespoir. Avec ses phrases très courtes (sujet, verbe, complément et pas beaucoup plus), dans des micros chapitres, il y va de son style percutant. Et sans perdre son humour (noir) qui fait son style, Jean-Louis Fournier se remémore certains mots (affligeants et blessants) de sa fille, et tente de comprendre son attitude avide et antipathique.
« Elle m’a demandé de lui verser une pension. J’ai été un peu étonné. Elle a plus de quarante ans, elle est en bonne santé, elle avait un métier…(…) Elle voudrait être une sainte subventionnée. » page75
« Ma fille m’a demandé pour Noël un 4x4 intérieur cuir. Je l’ai exaucée. Je lui en ai acheté un.
Heureusement qu’elle a fait vœu de pauvreté, sinon elle m’aurait demandé une Rolls-Royce.
Je l’ai échappée belle. » Page 78
« Pourquoi, depuis que tu es à dieu, tu es odieuse ? » Page 111
Certains trouveront ce texte dérangeant parce que trop personnel, et surtout trop subjectif. Pour ma part, j’ai été émue par ce récit poignant qui mêle la colère (la jalousie peut être aussi) et la tristesse face à la perte et à l’incompréhension. Après la mort de ses garçons et de sa femme, il était en droit de s’attendre à une vraie cohésion, à une force spéciale qui les unirait. Alors, on s’interroge aussi sur la dose d’objectivité de ses mots, sur le pourquoi et le comment d’un tel comportement…J’ai reçu ce livre dans le cadre d’un service presse sorti juste avant la deuxième version, comportant un droit de réponse de sa fille. Je n’ai donc pas eu la version de « la partie adverse » si ce n’est que quelques passages répandus sur le net :
« Tout le monde n'a pas la chance d'avoir un père qui offre sa propre fille au monde entier après l'avoir défigurée. (…) En tant que “chef-d'œuvre” cubiste de Jean-Louis Fournier, j'aurais préféré que ce dernier le garde accroché dans sa maison. Il avait promis. Par générosité, il a voulu en faire profiter tout un chacun.»
Difficile alors de se faire une idée de cette relation familiale et de juger de la sincérité de ces pages, mais toujours est-il que La servante du Seigneur m’a interpellée autant qu’il m’a touchée.
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