Libre-R et associés : Stéphanie - Plaisir de lire

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Emily St. John Mandel : Station Eleven

Station Eleven d’ Emily St. John Mandel  4/5 (12-08-2016)

 

Station Eleven (478 pages) sort le 24 août 2016 aux éditions Rivages (traduction : Gérard de Chergé).

 

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L’histoire (éditeur) :

 

Une pandémie foudroyante a décimé la civilisation. Une troupe d’acteurs et de musiciens nomadise entre de petites communautés de survivants pour leur jouer du Shakespeare. Ce répertoire classique en est venu à représenter l’espoir et l’humanité au milieu des étendues dépeuplées de l’Amérique du Nord. 
Centré sur la pandémie mais s’étendant sur plusieurs décennies avant et après, Station Eleven entrelace les destinées de plusieurs personnages dont les existences ont été liées à celle d’un acteur connu, décédé sur scène la veille du cataclysme en jouant Le Roi Lear. Un mystérieux illustré, Station Eleven, étrangement prémonitoire, apparaît comme un fil conducteur entre eux…

 

Mon avis :

 

Lorsque le roman s’ouvre, l’acteur Arthur Leander, interprétant le roi Lear à Toronto, s’écroule sur scène terrassé par une crise cardiaque. Jeevan, spectateur qui s’est précipité pour lui administrer les premiers soins, apprend quelques heures plus tard qu’une épidémie de grippe dévastatrice sévit dans le pays (et dans le monde). Il comprend alors que le célèbre acteur vient d’en mourir, que la situation est grave et il décide alors de prendre les mesures nécessaires pour sa survie.

Vingt ans séparent la première de la seconde partie. La grippe de Géorgie a fait des ravages que l’on peut difficilement imaginer, décimé la majeure partie de la population mondiale et renvoyé la civilisation restante 300 ans en arrière (plus d’électricité, d’internet, d’essence, obligée de chasser pour se nourrir…). Et dans ce nouveau monde, une petite troupe de musiciens et de comédiens se déplace de « ville » en « ville » (ou du moins ce qu’il en reste et s’y apparente le plus) pour jouer ce qu’il y a de meilleur (selon Dieter, l’un de ses membres) : Shakespeare. Kirsten, l’une des artistes de la Symphonie Itinérante, faisait partie de l’ancien monde et n’en garde que peu de souvenirs, alors elle collectionne les articles de presses qu’elle trouve à droite à gauche liés à l’acteur Arthur Leander, aux côtés duquel elle jouait lors du drame.

 

Même s’il prend son temps, même s’il m’a fallu plus d’une centaine de pages pour vraiment me captiver, Station Eleven est un roman remarquable. Emily St. John Mandel entrecroise la vie de différents personnages (qui finalement ne font que tourner autour d’un seul) et épaissit son intrigue en disséminant ses indices pour laisser doucement le lecteur entrevoir l’histoire de chacun et les liens qui les unissent.

Il y a dans la narration quelque chose du conte, du thriller, du drame, et le contexte post-apocalyptique apporte son lot de misère, de conflits et d’émotion mais le tout s’avère d’un calme étonnant. Loin des Mad Max, des Walking Dead, Silo…et autres romans et films basés sur l’action, la lutte pour la survie et le sensationnel, Station Eleven se révèle bien plus axé sur la réflexion et sur l’idée du bonheur, de la nostalgie, de la mémoire et de l’art.

 

SURVIVRE NE SUFFIT PAS

 

N’allez pas pour autant vous imaginer que l’auteure canadienne signe là un titre pseudo philosophique chiant. Une fois vraiment embarquée dans cette histoire, je l’ai dévorée. L’entrelacs des personnages, les flashbacks réguliers et la subtile construction de l’intrigue qui se façonne doucement, pierre par pierre, se montrent d’une méticulosité impressionnante et l’intrigue plus envoutante que palpitante.

Station Eleven est d’une grande simplicité, Emily St. John Mandel ne fait pas preuve d’une imagination débordante, son style est sobre et c’est sans aucun doute ce permet au roman de gagne en beauté et en intensité. 

 

En deux mots : d’une grâce tranquille qui fait son charme et son intérêt, Station Eleven est un roman post-apocalyptique plein d’espoir, différent et très intéressant. 

 

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Quand Babelio rencontre Emily St. John Mandel le 12 septembre 2016

  

Du polar à la science fiction 

Station Eleven marque l’entrée de son auteur dans le monde de la science-fiction, alors qu’elle était auparavant plutôt tournée vers le genre du polar : “Ce n’était pas une décision totalement inconsciente. Je n’ai jamais souhaité me cantonner à un genre en particulier, je ne me sens pas auteur de genre. Pour moi, j’écris de la fiction littéraire, c’est tout.” Derrière cette ambition de n’appartenir à aucun genre, Emily St. John Mandel explique éprouver une certaine gêne à être étiquetée : “Malgré tout le respect que j’ai pour le monde du polar, si j’avais continué dans cette voie, j’aurais été marketée comme auteur de polar et je sais qu’il est très difficile d’en sortir. Alors j’ai changé de style, même si c’est aujourd’hui pour me retrouver avec une autre casquette, celle d’auteur de science-fiction.” Bien sûr, cette question de genre est très subjective et varie beaucoup d’un marché à l’autre, il est donc difficile pour un auteur traduit à l’étranger de savoir se positionner : “J’accorde peu d’importance à la case dans laquelle je vais être rangée finalement, l’important à mes yeux reste avant tout la qualité de mon histoire.”

  

Dangereuse science-fiction

 Les lecteurs présents à la rencontre confirment : il leur est presque tous arrivé de se refuser la lecture d’un livre sous prétexte qu’il appartenait à un genre qu’ils ne lisent pas ; et c’est précisément ce contre quoi Emily St. John Mandel tente de lutter. “J’ai lu un article très intéressant dans le New Yorker, il y a deux ans de cela, dans lequel il était expliqué que les récits sont souvent à la frontière entre plusieurs genres et qu’il est vain de vouloir les catégoriser. C’est un point de vue très intéressant que d’ouvrir de cette façon les perspectives des écrivains.” En dehors de la question de l’étiquette, la science-fiction n’est pas, contrairement à ce que l’on pourrait penser, un genre facile d’accès pour les écrivains : “il ne faut pas croire que l’on est plus libre qu’avec le polar par exemple. Les recherches à effectuer pour rendre un univers imaginaire crédible, sont vraiment conséquentes ! De plus, c’est un genre dominé par les hommes et il faut s’habituer à être noyé au milieu des messieurs en festival lorsque l’on est une femme… Et non, ça n’est pas ce constat qui m’a poussé dans cette direction” précise l’auteur en souriant.  

  

Apocalypse non violente 

Comme vous l’avez peut-être constaté, lorsque la science-fiction s’empare de notre planète, elle lui réserve bien souvent un destin tragique. C’est forte de ce constat que l’écrivain canadienne a souhaité s’intéresser à un autre aspect du futur de notre civilisation : ”Beaucoup de livres évoquent un monde post-apocalyptique et leur point commun est une violence extrême. J’ai beaucoup lu ce genre de romans étant adolescente ; Walter Miller m’a notamment énormément marquée, tout comme les classiques des années 1960. J’ai vraiment essayé d’éviter d’instaurer une atmosphère chaotique dans mon roman, même si j’aime lire ce genre de choses.” Dès lors, Emily St. John Mandel a choisi de s’intéresser à ce qu’il se passerait une vingtaine d’années après l’apocalypse : “Je me suis demandé à quoi ressemblerait un monde en reconstruction, quelle culture choisirait-il de célébrer ? C’est la question fondamentale que pose mon roman et c’est une interrogation qui m’intéresse beaucoup : porterait-on au panthéon futur nos classiques actuels ou bien une bande dessinée autopubliée absolument inconnue pour l’instant ? Personne ne peut le savoir !”

  

Construire son monde 

Comment s’y prennent les auteurs pour construire un monde imaginaire crédible? Vous vous êtes sans doute déjà posé la question. Sans détour, Emily St. John Mandel explique à ses lecteurs : “Et bien on le fait, c’est tout ! L’imaginaire est le résultat d’un long processus d’extrapolation. Par exemple, nous avons tous déjà vu une maison abandonnée, avec des arbres qui poussent à l’intérieur. Et bien il suffirait d’élargir cette vision à une échelle plus grande pour obtenir un monde imaginaire. C’est aussi simple que cela.” L’auteur explique par la suite avoir beaucoup lu de textes dits “survivalistes” afin de rendre son récit plus crédible et si elle nous le déconseille afin de nous éviter de cauchemarder, elle précise que ces lectures ont beaucoup stimulé son imagination : “J’y ai appris comment fabriquer son propre savon, comment vivre sans électricité… C’est très intéressant en tant qu’auteur d’essayer de deviner comment les gens réagiraient à un monde tel que celui que j’ai imaginé.”

  

Une grippe qui les tuera tous 

Dans le roman d’Emily St. John Mandel, c’est une grippe qui décime la quasi totalité de la population. Curieux, les lecteurs l’interrogent à ce sujet : “Les épidémies que l’on a connues jusqu’à présent sur terre sont, et nous avons beaucoup de chance, restées relativement localisées. J’ai choisi la grippe parce qu’elle évoque quelque chose que nous connaissons tous puisque nous sommes très nombreux à l’avoir déjà attrapée. Bien sûr, la crédibilité d’un tel scénario catastrophe est toujours discutable. J’ai rencontré deux experts et alors que l’un niait complètement la possibilité d’une grippe comme arme de destruction massive, l’autre me soutenait le contraire. Finalement, le doute plane et c’est je crois l’un des enjeux de la science-fiction.”

  

Sur la route 

Les personnages principaux du roman Station Eleven, sont des artistes itinérants, qui traversent le pays et vont de communautés en communautés. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, c’est bien cet élément particulier qui a donné naissance au roman : “Au départ, je voulais que le roman se déroule aujourd’hui et évoque la vie d’artistes itinérants. Je n’avais pas du tout en tête l’aspect apocalyptique. Cependant, je souhaitais également écrire sur la technologie qui nous submerge à l’heure actuelle et que l’on prend pour argent comptant. Dès lors, j’ai pensé qu’un futur sans technologie était la meilleure manière d’évoquer la question puisque j’en priverais tous mes personnages. Finalement, j’ai abordé la question de la technologie en choisissant de peindre son absence dans notre quotidien.”

   

 

Le poids des souvenirs 

La mémoire est un thème qui intéressait également Emily St. John Mandel et notamment la question des souvenirs : “Je voulais également pouvoir traiter le souvenir comme poids ; en effet, plus l’on possède de souvenirs, plus on en perd et d’ailleurs, seuls les gens ayant connu un avant différent de leur présent sont en mesure de comparer et de regretter. Finalement, les survivants à l’apocalypse ont beaucoup plus de mal à s’adapter au nouveau monde que les plus jeunes. J’ai beaucoup réfléchi à cette question du traumatisme et des souvenirs. Je pense que d’un monde passé, il ne nous resterait que des éléments aléatoires, tout comme les images que nous avons de notre enfance ne sont que des chansons ou des images floues. J’ai également souhaité traiter cette dimension dans le roman.”

  

Allers-retours 

Concernant son mode d’écriture, l’écrivain canadienne explique ne pas respecter l’ordre chronologique. Son roman effectue d’ailleurs des allers-retours entre présent et passé. “J’ai toujours écrit de cette manière. C’est, je pense, un très bon moyen de raconter des histoires car cela enrichit beaucoup la narration. J’ai l’impression en écrivant de construire un puzzle géant et cela ajoute un contraste important entre le passé et le présent de mon histoire. Cela revient en quelque sorte à amplifier les deux époques.” Évidemment, fonctionner sans plan n’est pas chose aisée quand vient l’heure de la relecture : “Bien sûr, mes brouillons sont presque illisibles ! Il me faut maintes fois les reprendre pour rendre l’histoire cohérente, mais fonctionner sans plan me rend l’exercice de l’écriture beaucoup plus ludique : si je bloque sur un passage, je passe au suivant et j’y reviens par la suite en fonction de mon inspiration !”

  

La fin avant la suite ? 

Lorsque l’on apprécie beaucoup un livre, on souhaite intimement retrouver les personnages pour un deuxième volet. C’est donc tout naturellement que la question est posée à Emily St. John Mandel, par un public conquis par son roman : “J’ai pris énormément de plaisir à faire évoluer mes personnages et en particulier Miranda que j’apprécie particulièrement mais je crois que j’ai passé beaucoup trop de temps à réfléchir à la fin du roman pour finalement les faire revenir ! En tout cas, les droits du roman ont été vendus au cinéma, et je crois que quelqu’un s’intéresse au scénario en ce moment…”

 



24/08/2016
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