Libre-R et associés : Stéphanie - Plaisir de lire

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David Joy : Le poids du monde

Le poids du monde de David Joy   4,5/5 (04/10/2018)

 

Le poids du monde (320 pages) est sorti le 30 août 2018 aux Editions Sonatine (traduction : Fabrice Pointeau).

 

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L'histoire (éditeur) :

 

Après avoir quitté l’armée et l’horreur des champs de bataille du Moyen-Orient, Thad Broom revient dans son village natal des Appalaches. N’ayant nulle part où aller, il s’installe dans sa vieille caravane près de la maison de sa mère, April, qui lutte elle aussi contre de vieux démons. Là, il renoue avec son meilleur ami, Aiden McCall. Après la mort accidentelle de leur dealer, Thad et Aiden se retrouvent soudain avec une quantité de drogue et d’argent inespérée. Cadeau de Dieu ou du diable ?
Après Là où les lumières se perdent (Sonatine Éditions, 2016), unanimement salué par la critique, David Joy nous livre un nouveau portrait saisissant et désenchanté de la région des Appalaches, d’un réalisme glaçant. Un pays bien loin du rêve américain, où il est devenu presque impossible d’échapper à son passé ou à son destin. Plus encore qu’un magnifique « rural noir », c’est une véritable tragédie moderne, signée par l’un des plus grands écrivains de sa génération.

 

Mon avis :

 

« Il n’y avait pas de vent, juste la chaleur, comme si tout l’air avait été aspiré et qu’il e restait plus que cette température qui écrasait tout. Tout le poids de ce monde semblait l’accabler à cet instant, tandis qu’il se tenait là, regardant le vide, se demandant combien de temps il pourrait tenir avant de ployer sous la pression. » Page 261

 

Je ne vais certainement pas être objective dans mon billet car j’aime énormément David Joy et Le poids du monde a beau être un roman terriblement sombre et morose je lui trouve des qualités littéraires suffisamment époustouflantes pour vous dire que ce nouveau titre est encore très fort et abouti.

 

Le poids du monde est une histoire d’amitié et de destins brisés qui ne semblent pas possible de réparer (les conditions sociales, géographiques et l’histoire familiale des personnages tendent toujours à les tirer vers le bas).

Thad Bromm et Aiden McCall sont amis depuis toujours, depuis qu’Aiden, a dix ans, a fui le foyer où on l’avait placé à la mort de ses parents (son père ayant abattu sa mère sous ses yeux avant de se tirer un balle) pour venir s’installer dans la vieille caravane de Thad, que lui a laissé April sa mère (qui n’ayant jamais su l’aimer a préférer l’éloigner du domicile familiale où elle a refait sa vie).

Aujourd’hui, 14 ans après, Thad revenu marqué physiquement et surtout psychologiquement d’Afghanistan où il a servi, retrouve la maison de son enfance et sa vieille caravane où Aiden a continué à vivre aux côtés d’April. Les deux jeunes hommes survivent en enchainant les petits boulots (pas souvent légaux) mais lorsque leur dealer meure accidentellement, chacun y voit un moyen de se sortir de cette vie misérable (pas de la même manière toutefois).

« Le Thad qui s’était barré avec enthousiasme à dix-huit ans, prêt buter les enturbannés qui avaient jetés des avions sur des gratte-ciel, n’était pas le même que celui qui était rentré au bercail clopin-clopant quatre ans plus tard avec un disque fissuré à la base de la colonne. Mais les séquelles mentales étaient encore pies que les physiques car il était désormais constamment sur le qui-vive, et ses rêves le plongeaient dans un état de panique. Quand il avait quitté le comté de Jackson, Thad n’était qu’in gamin qui ignorait tout du monde, mais il était revenu estropié et endurci par l’amertume et la colère. » Page 24

 

Le poids du monde est un roman puissant. L’écriture de David Joy est captivant alors même que l’intrigue ne joue absolument pas sur l’action et le rythme. Il sait vous attraper et, par le poids des mots, par l’intensité de ses personnages et par la description de scènes (particulièrement graphiques et tangibles), vous scotche solidement à son récit qui peu à peu gagne en intensité et en émotion. J’ai été bouleversée par Aiden qui tente de trouver une issue, construit tant bien que mal une échappatoire, malgré son destin, malgré le désenchantement continu que le lieu (Comté de Jackson en Caroline de Nord, région rurale des Appalaches, où misère, drogue, alcool et pauvreté sont le quotidien de nombreux habitants, d’ailleurs très bien mis en avant dans le roman de J. D. Vance : Hillbilly Elégie). Voué à l’échec ? Tout porte à croire mais on espère, on vibre pour qu’enfin il s’échappe de ce déterminisme et trouve un peu de quiétude parce que c’est un brave gars, un garçon bon et intelligent.

« Ce qui l’effrayait, c’était ce qu’il savait dans son rêve. Il semblait avoir la certitude incontestable, presque divine, qu’avec le temps il deviendrait comme son père. Que certaines choses étaient transmises qui ne se reflétaient pas dans les miroirs, des traits étaient peints à l’intérieur. C’était ça qui le terrifiait. Et toutes les nuits, avant de se réveiller en frissonnant, il entendait les mots du Tout-Puissant, le Seigneur qui disait : « Au bout du compte, c’est toujours le sang qui parle. » » Page 13

 

La violence, la noirceur et le tragique qui imprégnèrent ces pages sont régulièrement survolés par beaucoup de lyrisme et quelques lueur d’espoir, des lumières (liées aux personnages, à une situation et par des descriptions de toutes beauté) alors on souffle. Heureusement. Et on savoure. L’auteur sait parler de ces gens, sait évoquer la réalité sociale (le réalisme autant dans les dialogues que dans les évènements est saisissant). Mais on souffre aussi beaucoup (les fêlures de chacun nous portent au cœur, les coups du sort et les circonstances sont comme des claques régulières).

« Plus Aiden vieillissait, plus le monde devenait compliqué, aussi préférait-il se raccrocher a passé, revivre ces moments dans sa tête le plus souvent possible. II était persuadé que, dans les bonnes circonstances, il pourrait recréer ce qui avait exister. Avec assez d’argent et un nouveau départ, Thad et lui pourraient redresser la situation. Mais tandis qu’il attendait sur le parking de l’hopital, ce rêve semblait hors de portée. » Page 23

 « Pendant toute son existence, sa vie avait été un tourbillon continu de déceptions, et le cercle semblait se resserrer inéluctablement à chaque année qui passait. » Page 28

 

Et même si le meurtre, le viol, la toxicomanie, l’alcoolisme, le désespoir sont parfois difficiles à digérer, on reste tenu en haleine, solidement cramponné au récit par l’espoir de voir enfin les protagonistes faire les bons choix, prendre les bonnes décisions et trouver enfin un peu de paix.

« Quand ils étaient tous les deux, elle oubliait presque tous les sales trucs qui s’étaient produits dans cette maison, tous les sales trucs qui lui étaient arrivés sur cette montagnes : depuis l’époque au lycée où sa grossesse avait commencé à se voir, jusqu’au jour où ses parents lui avaient dit qu’elle n’existait plus pour eux. Elle portait en elle tant de souvenirs qui étaient si lourds que des pierres. Toutes ces choses qui étaient restées refoulées et qui couvraient l’intérieur, manquant de la briser en deux. La moindre chance d’oublier était la bienvenue. » page 80

 

Le poids du monde est finalement un livre tout en constates dont je ressors encore une fois charmée par tant d’intelligence, de complexité et beauté dans la narration. David Joy est un grand écrivain !

 

« Le soleil prenait toujours son temps pour se coucher dans cet endroit. Les jours les plus longs de l’été il pouvait cacher sa face jaune derrière les sommets à 19 heures, se transformant en une tache invisible d’orange en fusion qui dégoulinait derrière les montagnes, jusqu’à ce qu’il ne reste que du rouge, comme si une goutte de sang avait imprégné la terre de l’autre côté. Ce lent processus pouvait s’étirer jusqu’à 21h30 avant que la mèche soit éteinte et que l’obscurité arrive. Tout semblait durer une éternité, rien n’était jamais précipité. Mais, finalement il faisait nuit. » Page 77

 

« Le fond de l’air était frais pour la fin du mois d’août, un rappel que bientôt l’été serait fin. Dans un peu plus d’un mois, les feuilles commenceraient à lentement rougeoyer, ébrasant les montagnes de leur feu automnal. Puis quelques semaines plus tard, la couleur disparaitrait. Le fait que ça s’achevait si vite n’était pas anodin, il y avait une leçon à tirer de ce souffle de beauté éphémère. Les bonnes choses ne duraient jamais, et quand tout s’écroulait, ça se produisait en un clin d’œil. C’était vrai pour tout sur cette montagne. » Page 291



22/10/2018
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