Aurélie Valognes : Au petit bonheur la chance
Au petit bonheur la chance d’Aurélie Valognes 5/5 (25-02-2018)
Au petit bonheur la chance (325 pages) est sorti le 7 mars 2018 aux Editions Mazarine.
L’histoire (éditeur) :
Jean 6 ans, se retrouve confié à sa grand-mère, lors de la séparation de ses parents, en 1968. Sa mère part à Paris pour trouver un emploi et reviendra le chercher. Il se retrouve chez mémé Lucette, et une formidable histoire d'amour va se dérouler entre ces deux êtres qui vont apprendre à se connaître, à cohabiter et à s'aimer.
Mon avis :
Jean, petit homme de 6 ans rêveur, dur à cuire qui ne craint pas les petits bobos (heureusement pour lui car il est un peu tête en l’air) et taiseux, est confié par sa maman à Mémé Lucette, sa mamie peu commode.
Marie, 28 ans, a tout quitté en pleine nuit, la brasserie où elle travaillait comme serveuse, son appartement et celui avec qui elle partageait sa vie (marin souvent ailleurs, même quand il était là, de 20 ans son aîné) et Saint-Pair-Sur-Mer pour la Capitale où elle espère pouvoir refaire sa vie et, d’ici quelques semaines, accueillir son petit garçon resté à Granville chez mamie où la vie n’est pas facile.
« Le petit garçon ouvre un œil, il ne reconnait rien. Un matelas par terre, son nounours à côté de lui, écrasé par le couvercle de la valise blanche. Tout est moche, démodé et peu commode comme Mémé Lucette. » Page 14
« L’immeuble de Lucette est très vieux et ce n’est pas le grand luxe : pas de téléphone, de téléviseur ni de frigidaire, mais surtout ni eau courante ni toilette. Il faut descendre deux étages pour remplir les bassines, puis les remonter à pied car il n’y a pas non plus d’ascenseur. On passe une bonne partie de la journée ç grimper ces marches : pour la toilette, la lessive ou la vaisselle. Lucette a fini par avoir de bonnes cuisses et un bon souffle ! » Page 16
« Lucette n’est pas une rigolote, mais a une bonne foulée. Jean suit comme il peut et tombe d‘inattention régulièrement. Lucette ne se retourne plus pour lui demander si tout va bien. Même si elle ne veut pas le montrer, Jean sait qu’elle a tout de même un bon fond. » Page 35
« Jean n’avait tout ce luxe chez ses parents. Chez Lucette, n’en parlons même pas ! à se demander si sa Mémé n’a pas vécu avec les hommes de Cro-Magnon ou les dinosaures. En tout cas, son balai doit dater de cette époque-là. » Page 85
Pour Jean, pas le temps de pleurer l’absence et l’abandon, Lucette prend les choses en main. Cette mamie (et mère de 7 enfants, qu’elle a élevés de son mieux après le décès soudain de Marcel à 54 ans), fan de tricot, peu loquace et un peu magicienne compte bien faire de son mieux pour offrir son petit-fils éducation (un petit tour chez le curé pour commencer), nourriture (quand bien même les fins de mois sont plus que difficiles) et amour, même si mémé Lucette n’est pas très expansive.
« D’habitude, Jean l’aime bien, Mémé Lucette. C’est u peu une magicienne ! elle n’a pas beaucoup de sous, mais elle parvient à transformer de simples œufs en crêpes, de la farine et du sucre e, gâteaux, et même si elle ne sourit jamais, il sait qu’elle a un faible pour lui. N petit « je ne sais quoi » ! » Page 16
Mais ce petit temps chez Mémé, qui s’avère être aussi l’occasion de retrouver tante Françoise et ses cousins Gabin, Gautier et Gustave (et leur vie de famille rêvée, faite de petits trésors et de partages) et de faire la connaissance d’Anita, la fille adoptive de madame Bellanger, la voisine du dessus), devient malgré tout, à son grand désespoir un long moment…et Marie semble de moins en moins impatiente de retrouver son petit garçon.
« -On ne choisit pas les surprises de la vie, mon petit. On fait avec, et souvent, c’est pour le meilleur.
-C’est ça la foi Mémé ?
-Non, ça, c’est la vie. » Page 207
Celui qui voulait tant retrouver au plus vite sa maman, arrive heureusement par moment à ne plus penser à elle et attendre son hypothétique retour, et il arrive surtout à profiter des moments avec ses cousins, avec Lucien le facteur (qu’il aide pour ses tournées). Les jours passent, les semaines se transforment en mois et l’été laisse se place à la rentrée ….
« Après plus de quatre semaines de silence, d’abandon, retour à la case départ. A la case Mémé, A la case orpheline, en un sens. Comme au Monopoly : aller directement en prison, sans toucher vos 20000 francs. Et passez votre tour.
Jean ne le sait pas encore, mais c’est ce jour-là que sa vraie vie d’homme a commencé : quand il a cru, pour la dernière fois, ce que lui disaient les adultes. » Page 102
Comment vous dire… Aurélie Valognes est une auteure que j’apprécie mais je ne suis pas ce qu'on pourrait appeler une groupie à guetter avec impatience la sortie de son nouveau titre. C’est du coup, avec un œil un peu plus critique (ou tout du moins, un regard moins orienté) que j’ai attaqué Au petit bonheur la chance et je peux vous dire que c’est un incroyable petit roman repli d’amour, d’innocence, de vie et de tellement d’autres choses (des belles, des moins belles, des moments difficiles et d’autres petits bonheurs à croquer ! Aurélie Valognes gagne avec ce titre une belle place dans mon top auteurs français chouchous.
Bon, ok, j’ai un faible aussi pour les romans aux très jeunes protagonistes, je craque et suis particulièrement touchée par leur histoire, leur manière de voir le monde et leurs mots d’enfant, comme le chat-poney (japonais), lapin dicit (l’appendicite), la péripatéticienne (page 137) et l’appel du général de Gaulle (page 147), dont je préfère vous laisser le plaisir de la découverte.
Alors forcément, j’ai aimé Jean (comment peut-il en être autrement). J’ai aimé sa relation avec Mémé Lucette (une mamie un peu comme la mienne, rude mais aimante, parce que c’est comme ça, on ne montre pas vraiment ses sentiments) et également sa relation avec Marie (difficile et délicate mais qui lui a permis de connaître le bonheur).
Et puis Marie…. Malgré tout, je n’ai pu avoir de regard critique sur cette maman qui ne sait pas faire, qui aime Jean mais qui peine à s’en sortir, qui a du mal avec le rôle de la femme à cette époque (« Quand on est une femme, on nous autorise soir le rôle d’épouse pondeuse, soit celui de la femme légère, égoïste. » Page 283) où l’avortement n’était pas autorisé (« Comme si la culpabilité ne suffisait pas. Comme si porter seule le poids si lourd d’un être si léger dans ses entrailles n’était pas en soi déjà une punition quand l’enfant n’est pas désiré. L’acte se fait au pluriel, mais les conséquences sont toujours au singulier. Et au féminin. » Page 287). Marie est une jeune femme sans aucun doute en avance sur son temps, pleine de désirs, de rêves et qui peine à trouver sa voie, sa voix…
J’ai aimé surtout et avant tout le parti pris de na pas juger, de ne pas séparer le bien et le mal, de ne pas livrer une vision manichéenne de cette histoire familiale.
J’ai aimé l’écriture douce, tendre et pas dénuée d’humour d’Aurélie Valognes , sa manière de nous transporter dans cette époque, celle du tour de France (et de Poulidor), du début de la mixité à l’école, des émissions/feuilletons radiophoniques (ces histoires de crimes racontées par les grands du théâtre) écoutées tous les soir sur radio France, celle des robes tabliers des ménagères , de Belphégor, cette époque où on faisait ses courses chez les petits commerçants, celle du papier peint orange à fleurs marrons, celles des expressions ( qui ouvrent chaque chapitre), celle de l’alunissage d’Apollo 11…
Au petit bonheur la chance est un roman d’apprentissage tout en tendresse, pas forcément en légèreté car la vie n’est pas toujours facile pour chacun des personnages, et surtout pour Jean, sans maman, cette femme présente mais qui ne l’est pas tant que ça en réalité, qui néglige son petit (le laissant sans le sou avec Mémé qui a déjà bien du mal à s’en sortir avec la petite pension de pépé) et qui fait mal aussi parfois.
Et puis, à côté de l’affection et des phrases toute en simplicité qui touchent il y a la réalité des mots qui cinglent, une mamie qui vieillit et se fatigue de voir son petit-fils souffrir, de devoir combler le manque, mais qui reste toujours tellement, tellement formidable !
« Jean la serre dans ses bras : son odeur de savon à la lavande mêlée au perdu beurré l’entête. Ce parfum-là restera comme celui de son bonheur avorté. Celui de l’enfance qui s’achève, avec ses illusions. » Page 193
« Nous faisons tous des erreurs, parce que nous somme humains. Certaines ont des conséquences pus raves que d’autres certaines ont des répercussions sur autrui ? » Page 231
Alors voilà, Au petit bonheur la chance, c’est un très joli récit, c’est un concentré de fraîcheur et de tendresse parsemé de quelques zestes de coups durs toutefois. Mon petit chouchou d’Aurélie Valognes, celui qui aura le plus serré mon cœur.
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