Sandrine Collette : Les larmes noires sur la terre
Les larmes noires sur la terre de Sandrine Collette 4,5/5 (07-03-2017)
Les larmes noires sur la terre (336 pages) est paru le 2 Février 2017 dans la collection Sueurs froides des Editions Denoël.
L’histoire (éditeur) :
Il a suffi d’une fois. Une seule mauvaise décision, partir, suivre un homme à Paris. Moe n’avait que vingt ans. Six ans après, hagarde, épuisée, avec pour unique trésor un nourrisson qui l’accroche à la vie, elle est amenée de force dans un centre d’accueil pour déshérités, surnommé «la Casse». La Casse, c’est une ville de miséreux logés dans des carcasses de voitures brisées et posées sur cales, des rues entières bordées d’automobiles embouties. Chaque épave est attribuée à une personne. Pour Moe, ce sera une 306 grise. Plus de sièges arrière, deux couvertures, et voilà leur logement, à elle et au petit. Un désespoir. Et puis, au milieu de l’effondrement de sa vie, un coup de chance, enfin : dans sa ruelle, cinq femmes s’épaulent pour affronter ensemble la noirceur du quartier. Elles vont adopter Moe et son fils. Il y a là Ada, la vieille, puissante parce qu’elle sait les secrets des herbes, Jaja la guerrière, Poule la survivante, Marie-Thé la douce, et Nini, celle qui veut quand même être jolie et danser. Leur force, c’est leur cohésion, leur entraide, leur lucidité. Si une seule y croit encore, alors il leur reste à toutes une chance de s’en sortir. Mais à quel prix ? Après le magistral Il reste la poussière, prix Landerneau Polar 2016, Sandrine Collette nous livre un roman bouleversant, planté dans le décor dantesque de la Casse.
Mon avis :
Ce qu’il y a de bien avec Sandrine Collette, c’est que chaque nouveau roman est une surprise, en terme d’histoire (évidement), de décors et d’ambiance. Là encore avec Les larmes noires sur la terre, elle nous offre de l’inédit, loin de ses précédentes publications, sans rebondissement, sans cette habituelle tension, mais toujours avec cette écriture qui touche aux émotions, fouille votre cœur et secoue.
Moe vient de Papeete. C’est là, à 20 ans, qu’elle rencontre Rodolphe, un pauvre type d’une quarantaine d’année qui lui fait miroiter le grand Paris et beaucoup de tendresse. Alors, comme tout vaut mieux que le destin tout tracé sur son île, essentiellement constitué d’aides sociales et de peu d’avenir, alors elle n’hésite pas beaucoup avant de le suivre et d’atterrir en métropole où c’est la douche froide. Elle est installée loin de la capitale, le temps est sombre et pluvieux, le regard des locaux sur la couleur de sa peau est sans appel, son Rodolphe (si charmant avant) ne la touche plus et l’arrivée de sa terrible belle-mère finit de lui démolir son joli conte de fée qu’elle avait tant espéré. Qu’à cela ne tienne, elle arrive à faire quelques ménages et de menus travaux d’infirmière à droite à gauche, histoire d’économiser pour son prochain retour sur son île et elle court les bals le samedi soir.
Lorsqu'elle tombe enceinte et que la violence conjugale est trop lourde, elle choisit de partir pour Paris où finalement c’‘est guère mieux, si ce n’est pire. Elle finit à 26 ans dans la rue, son petit dans les bras.
Mais on ne reste pas longtemps dans la rue…. Les SDF, délinquants et autres rebus de la société n’existent plus. Ils sont parqués dans d’immenses casses à ciel ouvert où chaque nouvel arrivant se voit attribuer une auto. Dans le bidonville où elle atterrit, ça sera une 306, numéro 2167, au fond d’une ruelle où vivent déjà Marie-Thé, Jaja, Poule, Ada et Nini Peau de Chien.
« La ville est construite comme ces villages de vacances qui s’étalent le fond d’une interminable route ovale, avec des dizaines de petites rues desservant des bungalows serrés les uns contre les autres à deux pas de la plage. Sauf qu’ici, les maisons sont remplacées par des voitures, et il n’y a pas de plage. Mais il y a un barrage, un magnifique ouvrage d’art qui empêche que les habitants s’enfuient – car l’envie les prend souvent, au début. Pour faciliter la surveillance sans doute, la ville est encastrée dans le lit de la rivière, surplombée par ce barrage hydraulique que tous savent être une barrière infranchissable. Sur le seul côté ouvert de la vallée, une grille longue de six cents mètres vient sceller le passage : aucune chance e revenir du bon côté ? Une façon de dire que la ville accueille définitivement ses habitants. Es gardiens y veillent jour et nuit armée, mieux rémunérés que n’importe quels militaires, le prix à payer pour la paix sociale (…) » Pages 57-58
Commence alors la survie, entre espoir de regagner la vie de son enfance (pour offrir à son bébé l’espoir d’une vie meilleure à ses côtés) et réalité des lieux où tout s’achète et même sa sortie….
« Six kilos de bonheur face à la dureté du monde ».
Tragique et tellement réaliste, Les larmes noires sur la terre est un roman noir qui construit son intrigue sur son décor et ses personnages solides. L’auteure y décrit un univers qui ferait presque science-fiction (il y a un petit côté Mad Max dans cet univers) ou roman dystopique (par la construction d’une société parallèle organisée où ses habitants ne peuvent concrètement atteindre le bonheur), mais pourtant pas si éloigné de notre réalité.
Sandrine Collette y développe des personnages puissants, tout en nuance et qui gagnent en intensité à mesure qu’on découvre leur histoire. Il y a Moe évidement (une fille paumée qui accumule les erreurs mais qui reste une battante, une battante discrète, déterminée à quitter les lieux quitte à se bruler les ailes) mais il y a les autres aussi : Nini la jolie blonde de 28 ans, Marie-Thé l’haïtienne, Poule et sa roulotte, Ada la guérisseuse afghane et Jaja l’arabe généreuse et grande gueule.
Ces femmes, prêtes à tout pour survivre et garder leur dignité, gonflent le récit d’une forte empathie. L’histoire, totalement ancrée dans notre réalité (guerres afghanes, montée de l’islam radical, attentats parisiens, clandestinité, esclavage moderne, difficulté d’intégration…), est passionnante, mais bon Dieu tellement effrayante !
« Elle soupire, fatiguée, dix fois qu'elle recommence, économiser l'argent pour les billets d'avion, depuis des mois elle n'aura eu que cela en tête, depuis des années elle s'échine en vain, repart à zéro quant tout s'écroule, parfois elle se demande si un sort ne pèse pas sur eux, pour qu'elle n'y arrive plus.
Et pourtant cette fois, c'est partit, il le faut, elle n'échouera pas (...). » Page 254
Ne vous attendez pas à lire un thriller, c’est plutôt une peinture sociale triste, effrayante et bouleversante. Je m’attendais à retrouver un certain suspens propre aux publications de l’auteure, et comme à son habitude elle l’a distillé et cuisine d’une élégante manière et, si encore une fois elle fait preuve d’originalité dans le choix de son intrigue (qui se suivent et ne se ressemblent pas), je n’ai pas été du tout déçue par cette nouvelle manière de le mettre en scène.
Son premier roman, le plus percutant à mon goût, reste mon préféré, mais celui m’a vraiment beaucoup marquée et je pense que je garderai longtemps en mémoire cette histoire et surtout cette Moe, que Sandrine Collette n’a pas ménagée.
Car, à côté des illusions, des injustices, des moments tragiques, de découragement, des mauvais choix et de la violence il y a l’amour, l’entraide, la bienveillance et toujours cet espoir en filigrane qui nous tient autant que Moe. C’est impensable mais on y croit. Et c’est justement ce contraste constant qui rend ces pages si fortes.
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