Eric Romand : Mon père, ma mère et Sheila
Mon père, ma mère et Sheila d’Eric Romand 4,5/5 (25-07-2017)
Mon père, ma mère et Sheila (109 pages) est sorti le 23 août 2017 aux Editions Stock
L’histoire (éditeur) :
C’est l’album d’une famille, issue d’un milieu populaire, avec ses codes, ses tabous, ses complexes, son ignorance, ses contentieux, dans les années 70 et 80. Le narrateur y raconte son enfance solitaire au milieu des turbulences. Pour son entourage, il a des goûts bizarres, des attitudes gênantes, des manières qui provoquent la colère de son père et la désolation de sa mère. Il dessine des robes et coiffe les poupées de sa sœur. Il fait son possible pour ne pas ajouter au malaise. Pour s’échapper, il colle son oreille à son mange-disque. Regarde les émissions de variétés scintillantes… Et admire une célèbre chanteuse dont il aime les robes à paillettes, les refrains joyeux. Il voudrait être elle. Il voudrait être ailleurs. Un premier roman tout en sensibilité sur fond de nostalgie douce amère et d’humour salutaire.
Mon avis :
A coup d’anecdotes, d’images surgies de sa mémoires, d’évènements familiaux rapportés et de faits notables ou qui semblent insignifiants, Eric Romand revient sur sa vie, celle de sa famille peu démonstrative (en amour surtout) et sur ce qu’il est aujourd’hui. Il a toujours un petit truc à raconter, successions de paragraphes qui semblent sans lien concret entre eux , touchants, tendres et âpres.
C’est brut, authentique,
« Mon père est né un 17 décembre.
Ma mère dit qu’elle n’attache pas tellement d’importance aux anniversaires.
Le 17 décembre 1976, elle a annoncé à mon père sa décision de divorcer.
Pour fêter ce double évènement, il a sorti son fusil et la braqué sur elle.
« Tu ne vas pas faire ça devant tes gamins ! » » Page 62
tendre
« Mon grand-père disait mon père fainéant et bon à rien.
Mon père disait mon grand-père vieux con.
Je les aimais tous les deux. » Page 22
triste
« Mon père rentrait tard dans la nuit, de plus en plus tard, de plus en plus souvent.
Ma mère avait beau redoubler d’efforts pour que ma sœur et moi ne nous apercevions de rien, sa tristesse contaminait notre soupe de pâtes alphabet et gâchait le « Bonne nuit les petits ! » de Nounours.
Une fois le marchand de sable passé, elle allait guetter le reste de la soirée à la fenêtre. » page 19
empreint de futilité.
« Sitôt levés, nous étions tous douchés, habillés, les lits étaient faits. Après chaque repas, la table tait aussitôt débarrassée, la vaisselle lavée, essuyée, rangée. Le passage d’un torchon sec sur levier et les chromes des robiniers clôturait le rituel quotidien de ma mère. Elle pouvait ainsi aux visiteurs même impromptus, que tout allait bien. » Page 22
Mais fondamental, parlant et manifeste.
« Mes grands-parents m’emmenaient partout avec eux : j’étais poli, me tenais bien à table, ne faisais pas de bruit et ne réclamais rien. Il m’était plus facile d’être sage que viril. Page 27
C’est toute une époque qui est décrit en peu de mots, celle de mon enfance (des sous-pulls que je détestais tant, du 421 auquel mon père aimait lui aussi jouer, toujours un verre à portée de main…). Mais c’est avant tout une ambiance dans laquelle l’auteur nous transporte en des descriptions brèves, à travers des souvenirs qui font souvent sourire mais qui cachent tellement…
« Le soir, installés sur le canapé, Geneviève, mon père et moi regardions la télévision. Lorsque je me retrouvais à côté de mon père, je prenais parfois conscience, troublé, que nous cuisses se touchaient. Immanquablement, il retirait légèrement la sienne avant d’enlacer de son bras les épaules de Geneviève pour la serrer contre lui. » page 72
J’ai tantôt eu l’agréable sensation d’être aux côté d’un vieillard qui revivait son passé à mesure que les images lui remontaient en mémoire et qui m’offrait ainsi l’occasion de découvrir sa famille dont les portraits sont brossés à peine en quelques pages (entre un père autoritaire, bourru, cassant et coureur, une mère effacée qui tente de sauver les apparences, des grands-parents épiciers très touchants, dont il a toujours été fiers).
« Des septembres à Noel nous passions nos week-ends dans le Jura, où mon père chassait. Avant de prendre le chemin du retour, nous avions droit à la traditionnelle photo du tableau de chasse. Lièvres et lapins étaient crochetés par la gueule. Les chasseurs avinés posaient fièrement devant la guirlande animale, photographiés par leurs épouses qui avaient passé l’après-midi à rêver d’un salon en cuir pleine fleur dans les magasins de la zone commerciale alentour. » Page 36
On vit ainsi avec lui bien volontiers ces moments volés, ces clins d’œil au passé, sa passion secrète (et finalement à peine dissimulée) pour Sheila, et ces souvenirs des fois un peu moins savoureux et plus piquants (tel que celui du gamin patientant dans la voiture au bord de la route pendant que son père retrouve une blonde caché derrière un rocher sur un terrain vague). On apprend à connaître ce jeune garçon, dont on tombe très vite sous le charme, qui nous livre doucement, mais crûment aussi, sa personnalité.
Mais, j’ai aussi eu la sensation d’être intrusive, d’être de trop, à la découverte de ces moments si personnels.
Mon père, ma mère et Sheila, ce sont des faits majeurs, des souvenirs innocents (ou pas), des anecdotes. Mon père, ma mère et Sheila c’est la vie tout simplement. Celle d’Éric Romand qui évoque avec si peu de mots, avec autant de simplicité que d’efficacité, de douceur que d’âpreté, son enfance, sa construction, ses choix, ses préférences…
Des grands-parents heureusement présents, un avenir incertain (tracé finalement par une mère qui espère le voir rapidement gagner sa vie), un studio, un service militaire, un divorce (pas le sien), un père toujours plus menaçant, c’est ainsi que sa vie par fragments et détails aussi cruciaux que futiles, drôles, tristes ou doux se dessine.
100 pages qui transportent et qui touchent surtout. 100 pages légères et graves que j’ai adorés par la sincérité et l’authenticité qui s’en dégagent. 100 pages qui se dévorent avec un petit pincement au cœur parfois.
« Seul, j’écoute encore parfois les chansons de Sheila. Elle est comme une vieille amie, qui vous sert toujours les mêmes rengaines, mais qu’on appelle de temps en temps, par nostalgie. »
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