Didier Thurios : Aussi sacrée que le Gange
Aussi sacrée que le Gange de Didier Thurios 3,75/5 (01-06-2017)
Aussi sacrée que le Gange (176 pages) est sorti le 11 mai 2017 aux Editions Ateliers Henry Dougier.
L’histoire (éditeur) :
« Aussi sacrée que le Gange » est une errance indienne, un voyage au long cours sans guide ni boussole. C’est le récit d’une Inde au quotidien qui n’en finit pas de surprendre, capable d’enchanter et de révolter dans la même fraction de seconde, singulière et abyssale, à la fois unique et plurielle, en fin de compte toujours énigmatique. Scandé autour de lettres de l’auteur à sa mère en France, immobilisée par la maladie d’Alzheimer, ce voyage intérieur est une plongée en âmes vives, familiales et universelles. Lorsque, frappée par la maladie d’Alzheimer, « petite mère » se retrouve immobilisée en France, son fils entreprend de lui faire visiter l’Inde en lui envoyant des lettres. Aussi sacrée que le Gange est le compte-rendu épistolaire de ce voyage. Si le lecteur y découvre un pays dans son quotidien surprenant et ses multiples visages, ce récit l’entraîne également dans un intime à la fois familial et universel.
Mon avis :
Aussi sacrée que la Gange est un récit de voyage, la description loin des clichés et vraie d’une Inde hétéroclite (« Ici tout est permis, et ces feux d’artifice sont à l’image de l’explosive expression de ce peuple et de ses religions impénétrables » page 59) et exubérante.
La description d’une Inde marquée par les castes, où la pauvreté, la misère, la rudesse, la crasse et la décrépitude règnent (« Pourtant, malgré la foule bigarrée, Vrindavan donne l’impression d’une cité en état de décomposition avancée. C’est une mort clinique en attente de momification, et la multitude de temples n’y change rien. Ville-musée en déréliction. » Page 30) mais une aussi une Inde dense faite d’une beauté luxuriante, époustouflante et où la simplicité a ce quelques chose de si agréable.
« Marchés d’épices et de parfums, de textile et de bijoux, tout un entrelacs de ruelles sur-agitées en stagnation de siècles. Page 37
« L’eucalyptus à perruche, un arbre à neem, un frangipanier débordant de liesse. Quelques gouttes de pluie réveillent le jasmin, un chat de gouttières piste d’étranges oiseaux lyres. Comme une oasis au cœur de la ville, une respiration dans l’apnée urbaine. » Page 41
« Le jeu en valait la chandelle : vue magnifique sur Pushkar et le lac, cajolés par le vent des collines aussi rafraichissant qu’une douche au monoï. » Page 55
« Nos pluies sont désespérantes de froid et de tristesse, elles sont ici plus vénérées que le soleil lui-même. Il faut donc se résoudre à patauger toute la sainte journée dans un cloaque sans nom, rentrer au soir repeint entièrement d’une boue sale. Ce qui, pour être honnête et à ma grande honte, n’est pas pour me déplaire… » Page 70
On apprend là à connaitre un pays lointain que l’on résume trop facilement à ses épices, ses vaches, son riz, son thé et ses temples. On découvre là un pays faits d’autels, d’offrande, de dévotion, qui vit depuis toujours avec la mythologie hindoue et dans une grande spiritualité et un peuple, profondément religieux, tourné vers la spiritualité, pas toujours commode, parfois violent et étonnant.
« Les indiens ont du mal à sourire, à se dérider. C’est quelque chose qui ne leur est pas naturel, en tout cas dans notre conception occidentale. Le sourire d’un Indien masque le plus souvent une gêne, le manque d’argument ou le désir de clore les débats, de fuir. » Page 39
« Petite mère, les hindous ont le pouvoir de taper sur les nerfs. C’est même leur grande spécialité. Mais l’Inde serait-elle ce qu’elle est sans cette exubérance, sans ces débordements de fièvre bigote et bigarrée ? » Page 50
Ce récit n’est pas celui d’un homme en adoration mais celui d’un homme qui aime voyager, qui prend le temps de regarder, qui n’hésite pas à dire ce qu’il voit et ressent (dans le bon, comme dans le moins bon), qui prend conscience de certaines réalités… Il parle ainsi aussi de la morale douteuse, la culture, l’histoire, les commerçants et les petits marchants envahissants, leur art du recyclage….
Ses réflexion sont bien senties, touchantes, et pas dénuée de bon sens, parfois drôles surtout quand ses anecdote cocasses se répondent plusieurs pages plus loin.
« A proximité de l’hôtel, je lavais mes pieds dans Layamuna avant de les étrenner quand un macaque venu de nulle part, dans mon dos, a récupéré à toute allure une de mes nouvelles chaussures posées sur les marches. (…) J’ai été quitte pour racheter au même marchand la même paire de tongs (…) et suis rentré avec une tong droite neuve à la main. (…) Je me suis promis de donner cette tatane à un unijambiste droitier ; ce qui sera ma BA, que dis-je mon karma pour le temps du voyage. » Page 31
« Troisième unijambiste gaucher d’affilée, je reste avec ma tong droite dans mon sac. » page 58
Aussi sacrée que la Gange n’est pas seulement un carnet de voyage. C’est aussi un récit entrecoupé de messages que le narrateur adresse à sa maman, celui d’une narration directe faite à sa « petite mère », fille d’immigrés espagnols atteinte aujourd’hui d’Alzheimer. Comme pour raviver les souvenirs il entrelace l’histoire familiale, son histoire à elle (1er prix de poésie, l’usine où elle a travaillé dur, la maladie, la séparation, les séparations…), des mots d’amours et des paragraphes de tendresse (« Tu es comme ça, débordante d’amour. » Page 99).
« Je suis tes yeux, ma mère. Mais je te livre le monde tel qu’il n’est pas. Tu sais comme moi la subjectivité de toute expérience. Qui peut avoir la prétention d’en connaître l’horlogerie exacte, de maîtriser avec ses gros doigts des mécanismes qu’on ne manipule qu’avec des pincettes ? Je ne cherche pas de vérités. J’absorbe et je digère avec ce que je suis. Je prends ce qui est en m’autorisant l’enchantement ou l’indignation. Il n’y a pas de vérité, juste quelques valeurs qu’on peut penser universelles. » Page 110
Le narrateur est un homme amoureux de la poésie, d’aventures, de liberté. Il nous livre là un bel écrit (un souvenir qui reste, comme pour contrecarrer la maladie de sa mère) qui mêle voyage et amour.
« Tu me demandais déjà de te parler du monde. Toi, l’ancre, moi le nomade. » Page 26
« Ma mère, mon père, je ne suis pas en voyage. Je vis. Je suis un flâneur solidaire. (…) je suis un nomade avec des racines. On apprend ça de l’errance. Le temps et la distance éclairent l’appartenance. » Page 51
« Toi l’ancre, moi le nomade, moi l’ancre, toi l’errante… » Page 160
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