Libre-R et associés : Stéphanie - Plaisir de lire

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Saphia Azzeddine : Sa mère

Sa mère de Saphia Azzeddine     3/5 (03-09-2017)

 

Sa mère (240 pages) est disponible depuis le 23 août 2017 chez Stock.

 

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L’histoire (éditeur) :

 

Marie-Adélaïde, née sous X, a la rage au ventre ; elle a un destin, mais ne sait pas encore lequel. Pas celui de caissière à La Miche Dorée. Pas non plus celui de ses rares copines, certaines connues en prison, d’autres camarades de galère et d’errance. Serait-ce celui de nounou des enfants impeccables de la Sublime ? Ou celui de retrouver sa mère coûte que coûte ? Son destin, elle va le chercher avec les moyens dont elle dispose : le culot, la parole qui frappe, l’humour cinglant, l’insoumission à son milieu, la révolte contre toutes les conventions. C’est une héroïne de notre temps.

 

Mon avis :

 

Née sous X le 1er juin 1988, baladée de foyers en famille d’accueil après un passage en famille adoptive, Marie Adelaïde vit aujourd’hui dans un studio que lui sous loue sa meilleure amie (en échange de la garde de son chat) et travaille comme garde malade, serveuse (pour des mariages ou des bar-mitzvah) puis comme vendeuse à la Miche Dorée (après un bref passage en prison pour coups et blessures) et ensuite comme nounou pour Cléa et Eliott, deux gosses antipathiques d’une bourgeoise parisienne dans l’incapacité d’annuler sa soirée d’ouverture à l’opéra Garnier (et ce n’est pas pour l’amour de l’art…)

« Il y a des livres chez elle mais rangés par tons. Il y a aussi tous ceux des rentrées littéraires. Le genre de détails qui ne trompe pas, ce n’est pas une lectrice, c’est une consommatrice. » page 35

Marie-Adélaïde, certaine d’avoir été délaissée à la naissance par une femme de la haute, incapable d’assumer cette galère ou préférant tout simplement ne pas s’encombrer d’une Marie-Adélaïde non voulue, a un parcours olé-olé. De sa vie on ne retient qu’un passé merdique où la malchance l’a méchamment poursuivie (sans pour autant côtoyer le destin de David Copperfield quand même !), une intelligence précoce et une culture qui en ferait pâlir plus d’un. Sa vie est amère et son regard terriblement incisif sur notre époque.

« J’ai toujours affirmé à mon assistante sociale que je n’avais pas de rêve. Ce n’est pas totalement exact. C’est un peu faux. Ce ne sont pas des rêves à proprement parler, ils n’en ont pas l’envergure, ils n’ont rien d’héroïque ou de supérieur. Ce sont plutôt des images dans lesquelles j’aimerais le projeter parce qu’elles disent quelques choses de soi. » Page 198

 

 Sa mère c’est (en plus d’une recherche d’une mère et de la difficulté de se construire en étant née sous x) un regard grinçant et acide sur notre société (de la France bourgeoise à celle d’en bas) et son système.

« Elles sont philippines, africaines et arabes, les nounous. C’est drôle comme les bourgeoises font confiance à ces ethnies-là. Pour tout le reste, elles les accablent mais pour confier la prunelle de leurs yeux, ce sont elles qu’elles choisissent. Des jeunes filles voilées, des grosses Africaines en chemise waxée, des Philippines en tongs, il est là tout le paradoxe des bourgeoises parisiennes qui négocient à mort le tarif horaire de ces étrangères à l’hygiène douteuse. » Page 27

« J’ai poireauté pas mal de temps à l’accueil pour être visible et montrer ma détermination à trouver un emploi qui n’existe pas. Je commence toujours par être une bonne élève et à la fin, j’ai envie de me faire exploser au milieu de l’arène quand, radiée pour un retard d’un jour, ces enculés bloquent mes indemnisations pendant deux mois. Mais il parait que rien ne justifie la violence. » Page 37.

Marie-Adélaïde ne manque pas de répartie, d’humour qui fait mal et de critique.  Son récit est doux mais très amer, et un poil violent.

« Le temps s’écoule, nous accélérons, nous ralentissons mais il reste honnête et ne comprends pas qu’on fasse de lui un enculé. J’ai passé vingt-huit à chercher ma mère et à peine quelques jours à la sauver, à la perdre puis à l’aimer. Dans cet ordre-là. » Page 230

 

Bien lancée dans cette histoire et embarquée avec plaisir par le ton vif de cette Marie-Adélaïde, je me suis un peu lassée de son franc parler et de son côté « rebelle-rien-à- foute-de-rien » (qui dissimule en vérité un véritable mal être), de son hypocrisie et de sa violence verbale.

Mais, je suis restée accrochée à elle, attrapant au passage quelques réflexions touchantes (« J’avais, à tort, imaginé nos retrouvailles. C’est une erreur que font tous les êtres sensibles. Ils s’imaginent des choses puis s’endorment dessus pour adoucir le lendemain. » Page 217) et surtout m’attachant finalement doucement à cette jeune femme en colère, même si son cynisme exacerbé et sa critique et plaintes perpétuelles ont eu tendance à inonder le sujet même du livre : la quête identitaire.

Ce n’est pas le genre de personnage qui fait palpiter le cœur mais j’ai vraiment finit par lui espérer un mère, SA mère, et tout simplement qu’elle trouve sa place. Et c’est sans doute ce revirement dans l’intrigue, dans la forme et cette douceur improbable qui fait son entrée, qui ont réussi à me redonner cette envie de la suivre.

« Elle était ma raison de vivre et maintenant je fois trouver ma raison d’être. Ça me terrifie. Je n’ai jamais envisagé de pareil. Elle est un cadeau empoisonner. J’aurais dû me contenter du X, des X partout, voilà ce que ça fait de passer par le fenêtre quand on vous ferme la porte. » Page 224.

 

Au final, même si j’ai trouvé que le roman avait tendance à s’étioler et s’éterniser par moment, je ne peux concéder que Saphia Azzeddine possède une plume percutante. Par l’intermédiaire d’une protagoniste actuelle et qui ne mâche pas ses mots, elle livre des avis tranchés sur notre époque qui mettent parfois mal à l’aise par leur aspect authentique et elle réussit à construire un roman vrai, riche et émouvant.



18/09/2017
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