Gwladys Constant : Le mur des apparences
Le mur des apparences de Gwladys Constant 4/5 (04-08-2018)
Le mur des apparences (155 pages) sort le 5 septembre 2018 aux Editions Rouergue (collection DoAdo)
L'histoire (éditeur) :
Pourquoi Margot s’est-elle suicidée ? Une fille parfaite, belle, friquée, populaire... Justine, qui la connaît depuis la primaire et qui, elle, estime n’avoir eu que de méchantes fées au-dessus de son berceau, tient peut-être là sa revanche. En volant les carnets intimes de Margot, elle va posséder les clefs qui lui permettront de renverser le rapport de forces au sein du lycée. Un thriller psychologique, où les secrets flirtent avec le danger…
Mon avis :
Margot et Justine sont camarades depuis toujours. L’une à côté de l’autre, elles ont fait leur scolarité ensemble (primaire, collège et aujourd’hui lycée) sans jamais avoir franchi le pas de l’amitié, n’ayant pas grand-chose en commun si ce n’est la première lettre de leur nom de famille, leur imposant d’office une proximité non choisie.
« Je pensais au destin – j’y crois - qu’on l’appelle Nature ou Dieu ou Fatalité, toujours est-il qu’il est des mécaniques conte lesquelles on ne peut rien. Certains naissent pour réussir, briller, se distinguer, ET d’autres…je ne sais pas pourquoi. Peut-être pour servir de point de comparaison. Après tout, pour qu’il u ait des géants, il faut des nains, non ? Une question de fées au berceau. C’est ce que je pensais en CE2, haïssant les miennes, ces fées de seconde zone qui s’étaient ramenées pour se pencher sur moi avec leur baquettes de boulanger dépourvues de pouvoir et e dons. Les bonnes fées étaient prises ailleurs ce jour-là – occupées autour du berceau de Margot, par exemple. Il faut dire que j’avais trois semaines d’avance. Rendez-vous avait été pris initialement le 15 mai – il avait donc fallu me trouver des intermittentes de la chance en urgence – un CDD pour quelques heures. » Page 10
« A force d’être moi-même, j’avais fait mon malheur. A force d’être ce dont tout le monde rêvait, elle s’était forgée une réputation. » page 24
Justine compense son manque de vie sociale par les études (« Travailler et manger est devenu un mode de vie, une manière d’exister. Sans cet objectif, performer à l’école, je ne sais pas ce que j’aurais fait – si ce n’est me pendre, comme on me le suggérait parfois sur les réseaux sociaux. »page 13-14). Cataloguée dans les ringardes, c’est la grosse, miss « Degueuli ».
Margot, belle et populaire, est miss « Parfaite » issue d’une famille aisée qui entretient les apparences.
« Je marchais dans le sillage de Margot (un parfum sophistiqué), j’avais l’impression d’être invitée à porter la traîne de ses cheveux blonds, tombant gracieusement sur les formes rebondies de ses fesses parfaites, moulées dans un jean de marque. Elle était entourée de sa cour, véritable princesse de Clèves. » Page 11
Mais un matin, leurs routes se séparent (du moins en apparence), Margot ne se présente pas en cours. Et pour cause, elle s’est suicidée.
« C’était dans son bain que la princesse avait entaillé ses jours et noyé son corps nu dans une eau ensanglantée. » Page 15
Justine s’interroge alors (comme tous les autres) sur la mort de margot, et sur la sienne aussi (ressentant encore et toujours cette même injustice).
« On n’est pas plus égaux devant la mort que devant la vie » Page 20
Elle tente de comprendre les causes qui l’ont conduite à en arriver là et comment celle qui a tout pour partir de cette façon.
« Son absence harcelait de questions ma présence. Peut-être parce qu’on s’était connues très jeunes, peut-être parce que je m’étais accoutumée à être narguée depuis presque toujours par son existence et ce qu’elle représentait, cela rendait le mystère de son suicide plus dense, plus entêtant, plus viral. De fait, ce n’était pas la grippe qui me faisait tourner la tête, mais l’absurdité de sa mort. » Page 26
Et si Margot avait quelques recoins sombres secrets, des obsessions…Et si madame parfaite étaient loin de l’être …
« Perdue, je voulais trouver un chemin de vérité, quelque chose qui ressemble à du sens. » Page 22
« Elle avait eu une façon de foutre le camp qui couronnait l’injustice de ce mondé. Pétasse ! » page 26
Elle va alors entrer dans la vie de Margot par l’intermédiaire des journaux intimes de la belle, qui vont peu à peu prendre le dessus, lui apportant des billes face à ceux qu’elle nomme les « hyènes » (amassant de multiples petites munitions qu’elle dégaine à la moindre attaque) mais empiétant sur son assiduité scolaire. Justine, poussée par le besoin de comprendre, remonte le cours de la vie de Margot, reconstruit son existence et découvre une jeune fille calculatrice et lâche…
Pour Justine c’est aussi et enfin l’occasion de sortir de son isolement, d’avoir une vie sociale, de prendre le dessus sur certains, utilisant les écrits de la belle pour s’affirmer, se défendre et attaquer.
« Je pensais à une phrase de mamie Madeleine. Elle nous la sortait à chaque fois que quelqu’un mourrait dans son village et que les obsèques avaient été jolies et élogieuses : « Les morts sont tous des gens bien. » Margot avait été une morte très utile. » Page 59
« Je vivais roulée en boule en prévision des coups que j’allais recevoir. En plus de mon travail scolaire, c’était une occupation à plein temps. C’était même comme un épais brouillard qui masquait le reste de la vie autour de moi. Et à présent que le brouillard se dissipait, je commençais à ouvrir les yeux sur le reste du monde. » Page 64
Livre plein de mystères, Le mur des apparences se lit comme un thriller, par le suspens qui plane sur la mort de Margot et par la forme narrative qui laisse s’installer une certaine tension (entre l’obsession de Justine qui prend de plus en plus d’ampleur, des « hyènes » qui se rapprochent d’elle et le secret qui reste jusqu’au bout en suspens concernant les véritables causes du suicide).
Le dénouement révèle toute l’horreur de la situation, bien au-delà des simples problèmes d’adolescents mal dans sa peau. Gwladys Constant glisse alors sur un autre terrain beaucoup plus dramatique.
Le mur des apparences est bien évidement un roman sur les apparences mais derrière se cachent de nombreux sujets tels que l’homosexualité, le harcèlement scolaire, l’humiliation, les clivages sociaux et raciaux, la discrimination…
« L’envie, c’était ma partie. Oui, je l’enviais, déjà à l’école primaire. Mais cette envie, loin de me rendre hargneuse, me faisait baisser la tête. Elle avait tout, je n’avais rien. Prisonnière de cette vérité-là, je ne voyais pas ce que j’avais, et qu’elle n’avait pas. » Page 112
La question des apparences va d’ailleurs aussi de poser pour Justine qui d’abord faible et transparente va se révéler bien plus intelligente émotionnellement que scolairement, forte et courageuse.
Dès les premières phrases, les mots de Gwladys Constant frappent, mordent, percutent.
« La cloche a retenti et j’ai presque eu la nausée en l’entendant. Peu après, le porche s’est ouvert, libérant le flot d’élèves heureux d’être en week-end ; vomissant plutôt la horde, tortionnaire et victimes mêlés. » page 78
« Au jeu de société du monde s’ajoutait donc vraisemblablement cette partie familiale, secrète, intime où il s’agissait de ne pas révéler les vices cachés de la jolie maison du bonheur. » Page 91
« Nous n’étions que des courtisant et notre monarque absolu avait nom Apparence. » page 119
Ses figures de style (images et métaphores filées) font mouche. Son roman est un lecteur jeunesse très intelligente par les mors, la forme (j’ai d’ailleurs beaucoup apprécié les analogies régulières faites par la narratrice en rapport avec ses lectures : La princesse de Clèves, Le mariage de Figaro, L’école des femmes, où se cache d’ailleurs la vérité…) et par le fond qui fait se poser les bonnes questions à un âge où les apparences semblent l’enjeu premier.
« Y a des vérités qu’on peut pas entendre, a déclaré Keindra sentencieusement. La vérité est un piège, on la réclame, mais, au fond, qui peut la supporter ? » page 130
« Et tellement convaincus de souffrir plus que quiconque. On mettait toute notre énergie à ne pas montrer, justement, à quel point on avait mal, car à la cour du roi Apparence il faut faire bonne figure, sourire, se montrer sous son meilleur jour. Dans la galerie des glaces, je venais de faire voler en éclats plusieurs miroirs, et ça n’avait jamais été mon but. Page 146
Le mur des apparences est un récit dur, très dur (autant sur la question de l’isolement –à tous les niveaux- et le harcèlement que sur la question que soulève la révélation finale) mais qui, la dernière page tournée, m’a laissé un profond sentiment de soulagement.
A découvrir dès 13 ans.
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