Libre-R et associés : Stéphanie - Plaisir de lire

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Eric Pessan : Muette

Muette d’Eric Pessan   3,5/5 (07-09-2013)

 

Muette (224 pages) est paru le 21 août 2013 aux Editions Albin Michel.

 

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L’histoire (éditeur) :

 

« La nuit, déjà, et Muette écoute vibrer les insectes, glissée jusqu’au nez dans son sac de couchage. Elle a chaud mais ne peut se résoudre à se découvrir. Dehors, dans le grand monde, des gens courent à sa recherche, elle n’a plus de doute à ce sujet. Elle y est. Elle a grand ouvert les portes de sa vie. » Par sa maîtrise de la langue au plus près des émotions, des impulsions et des souvenirs d’une jeune fugueuse, Eric Pessan, l’auteur d’Incident de personne, compose un roman envoûtant et d’une rare justesse pour évoquer la mue mystérieuse de l’adolescence.

 

Mon avis :

 

Muette, c’est le nouveau livre d’Eric Pessan. Muette, c’est sa protagoniste, une adolescente de 16 ans. Muette,  le nom qu’elle s’est donnée parce qu’elle n’aimait pas son prénom.

 

« Muette, c’est juste une question de silence, d’extrême retenue et de regard qu’il n’est jamais possible d’accrocher. »Page 43

 

« Le vrai visage de Muette,

menteuse,

quel est-il ? En vérité, son prénom ne lui appartient pas,

c’était pour lui rendre hommage,

Muette a reçu en héritage le prénom de la grand-mère qu’elle n’a jamais connu,

ta mère n’as pas pu enterrer sa propre mère,

et Muette le déteste ce prénom, elle le porte comme un vêtement élimé acheté aux Emmaüs, elle le porte en reniflant les odeurs anciennes qu’il dégage, en tentant de comprendre les histoire qu’il cache,

c’était une femme bien, ta grand-mère, elle est morte de chagrin,

les vieilles hontes, les morales empesées, es douleurs confites et rentrées,

tu as failli naître sur sa tombe.

Il ne lui va pas, il n’a pas été coupé à sa taille, on lui a cousu de force.(…)

telle mère,

alors Muette est entrée en détestation de son prénom ; (…)

telle fille,    

enfant, Muette a très tôt décidé qu’elle serait Muette, un point c’est tout. » Page 135-136

 

Muette  s’enfuit et Eric Pessan nous raconte sa fugue, qu’elle a préparé depuis des semaines, vers sa cabane, sa cache, son refuge, la grange où elle allait jouer déjà à 11 ans, d’abord à la maman jusqu’à ce qu’elle devienne plus tard son jardin secret où elle lit, écrit et cache ses poème. Quand elle décide de quitter sa parents, c’est naturellement ici, dans la campagne qu’elle connaît comme sa poche, qu’elle choisit de s’installer.

 

Passées les quarante premières pages de marche mêlée à des réflexions, Muette commence une vie solitaire et le lecteur s’installe doucement dans son esprit. Ses pensées sont percutées par les mots de son entourage, de ses parents et par des rumeurs qui courent sur elle. C’est ainsi qu’on apprend à mieux connaître cette jeune fille sensible et à cerner les motifs de son départ. Elle trouve ainsi naturellement sa place là dans la campagne où elle se sent bien, loin de ses parents, des Hommes et de la ville, comme une deuxième naissance. Dans ses pensées libérées, naissent quelques rêveries comme avec l’ouverture du roman qui se joue comme un film de cavale américain.

 

Muette est un récit qui raconte la fugue de Muette et ses réflexions, ses interrogations et ses colères. Elle murit depuis des années une exaspération (presque une haine) envers ses parents aux phrases assassins (« des phrases s’accrochent aux chevilles  de muette bien plus sauvagement que ne le ferait la mâchoire d’un chien errant. » Page 16).  Entre son père présent mais qui ne nourrit que peu d’intérêt pour elle, et une mère méprisante  qui ne s’en occupe que pour se donner bonne figure (parce qu’elle est là, même si elle n’en voulait pas) et qui ne s’intéresse ni à ses souffrances ni même à ce qu’elle dit, Muette n’a pas sa place.

 

« Muette dépoussière ses pensées, elle y déniche des questions qu’elle n’a jamais formulées, des questions qui se sont heurtées aux regards fuyants et coléreux de son père, à l’empressement de sa mère,

maman ?

plus tard,

des questions ravalées, ensevelies, Muette en contient d’effroyables quantités. (…)

maman, s’il te plait.

plus tard, j’ai dit,

(…) Une mère toujours en mouvement, en course, fusée lancée déjà trop loin pour que les paroles de Muette puissent un jour la rattraper. Il n’y a pas de son dans l’espace, Muette l’a appris en cours de science naturelles,

ne traîne pas dans mes pattes. » Page 124

 

Par des bribes de phrases qui interviennent comme des dialogues dans la narration, et par des souvenirs précis, Muette revient sur le comportement d’une mère qui a eu son enfant  trop jeune et qui  ne manque pas de lui faire savoir qu’elle n’était pas désirée. Se dessine un  schéma familial dans lequel Muette ne veut pas trouver sa place et où elle a trop entendu de  « Telle mère, telle fille ! ». Parfois on sent naître un malaise chez Muette, comme si quelques chose de plus désagréable, de plus grave avait eu lieu. Alors on attend d’en savoir plus jusqu’au dénouement  un peu surnaturel,  qui laisse un gout d’inachevé et qui ne répond pas à nos interrogations.

 

« telle mère telle fille, déjà matin après matin, le miroir confirme qu’une ressemblance de plus en plus forte affleure du coin de ses yeux, du plu de sa bouche et de l’arrondi de ses joues. Muette –terrifiée – sent sa mère pousser et croître en elle, c’est comme si elle rendait tardivement la monnaie de la pièce, comme si elle finissait par accoucher à rebours. » Page 45

 

Eric Pessan décrit avec précision la nature qui entoure son personnage, tout comme le mal être qui l’habite, dans une narration à la troisième personne constamment interrompue par des paroles en italiques (comme un martèlement de critiques) qui trouvent leur place presque naturellement tant elle les a entendu. J’ai éprouvé beaucoup de tristesse pour cette ado, mal dans sa vie qu’Eric Pessan présente de façon inattendue et belle à la fois. Dans une écriture pleine de sensibilité, il montre les nuances de l’adolescence, avec des mots innocents et durs parfois. 

Un beau roman de cette rentrée littéraire.

 

« Le matin, Muette l’a constaté, il est plus difficile d’être courageux que le soir. Il lui faut la colère accumulée d’une journée entière pour devenir courageuse. Le matin, c’est comme si elle renaissait. » Page 34



08/09/2013
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