Libre-R et associés : Stéphanie - Plaisir de lire

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Aurélien Delsaux : Madame Diogène

Madame Diogène  d’Aurélien Delsaux 3,5/5 (25-08-2014)

 

Madame Diogène (144 pages) est disponible aux Editions Albin Michel depuis le 20 août 2014.

 

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L’histoire (éditeur) :

 

Madame Diogène ne vit pas dans un tonneau mais dans un appartement transformé en terrier. Elle y a accumulé au fil du temps des tombereaux d’immondices dont les remugles ont alerté les voisins. Elle n’en a cure, elle règne sur son domaine, observe le monde de sa fenêtre, en guette l’effondrement et le chaos. Elle sait qu’autre chose se prépare.

Plongée vertigineuse dans la folie, analyse minutieuse de la solitude radicale, ce premier roman d’Aurélien Delsaux explore avec une force et une maîtrise étonnantes un territoire aussi hallucinant qu’insoupçonné.

 

Mon avis :

 

Quelle terrible roman que propose de découvrir Aurélien Delsaux : plonger dans le syndrome de Diogène de cette manière est effroyable !

Madame Diogène n’est en réalité pas Madame Diogène. C’est une vieille femme anonyme à qui  l’auteur attribue ce  nom tiré du trouble du comportement touchant  surtout les personnes isolées âgées qui négligent l’hygiène corporelle et domestique et accumulent toutes sortes d’objets hétéroclites jusqu’à arriver à des conditions de vie insalubres (nom provenant du philosophe grec Diogène).

Et bon alors soyons franc, ce titre n’a absolument rien de drôle, c’est même plutôt glauque, trash et absolument dégueu !

 

Cette vieille femme, qui a s’est défaite de son identité, est gagnée peu à peu par la folie accumulant immondices, détritus et objets courants totalement inutiles, jusqu’à former des galeries où elle se terre. On est pris aux tripes dès le début, on sent ce que les voisins endurent (cette puanteur qu’ils ne supportent d’ailleurs plus), et on plonge dans l’horreur de Madame Diogène. L’extérieur devient le mal, un danger et elle se plonge plus profondément qu’il n’est pensable dans ce cocon de tout et rien, d’excréments, d’urine… habité par la vermine (jaillissant même des poches de sa veste quand elle y plonge les mains). Comme elle s’y sent bien ! Elle protège son terrier, camouflé derrière une tenture au bout de son corridor dégagé pour le peu de visiteurs qui s’imposent à elle.

 

Aurélien Delsaux se lance dans une narration tellement visuelle qu’elle donne des haut-le-cœur.  On est partagé entre l’horreur (dégoûté de simplement touché ce livre) et la tristesse. Cette Madame Diogène n’a pas toujours été comme ça. Son passé qui refait parfois surface (même si on ne sait au final pas grand-chose d’elle) et la présence des voisins et de la rue, amplifient  la solitude qui a fini par la gagner. On est touché par ce que vit cette vieille femme, qui n’a pas totalement perdu la tête, touché par un semblant de lucidité, elle sait qu’un jour ou l’autre les voisins auront raison d’elle et que les pompiers finiront par l’évacuer.

 

« Il se peut que cet air vif et sain la tue. Elle referme vite.

L’air extérieur a ravivé l’odeur de pourriture totale qui assaille partout l’atmosphère de l’appartement : montant du sol, transpirant des murs, s’échappant des meubles engloutis, s’exhalant de chaque chose » page 19

« Vidant les classeurs, les pochettes, les enveloppes, répandant factures, photos, ordonnances, salaires, contrats, livres de comptes, souvenirs, lettres, plans, modes d’emploi, garanties (…). Elle n’aurait plus jamais à ranger, trier, classe, nettoyer, obéir. L’ordre des choses, l’ordre du temps (horaires des rendez-vous, dates des fêtes, anniversaires) : la vie normal gisait là, défaite » page 23-24

 « Sous les bouteilles elle trouve, arrachées d’un classeur, des pages plastifiées sur lesquelles figurent de veilles photos. Au premier temps de sa retraite, elle les avait triées par année, dans de gros albums ; chacune avaient été légendée. Elle avait patiemment mis en ordre toute une vie d’images. » Page 36

 

Madame Diogène est un roman sombre et dramatique  porté par une écriture claire et poétique (souffrant tout de même de passages un peu longs). C’est court mais percutant (présélectionné pour le 10ème Prix Jeune Mousquetaire du premier roman 2015).

Peut-être pas un texte indispensable à lire mais néanmoins un premier roman intéressant et qui ne manque pas d’originalité, montrant une société en réalité plus  sauvage que cette Madame Diogène.

 

« Dans la salle de bain elle songe à la nièce qui doit venir, qui viendra. Elle titube, langeant la baignoire pleine de plantes vertes, d’épluchures, d’excréments, jusqu’au lavabo, en retire le linge entassé (…), ouvre l’eau. Le siphon est bouché. Elle voit son reflet à la surface : elle est là ; sous cette transparence, retenue prisonnière, fantôme aquatique par les canalisations, remonté des profondeurs.

Elle relève la tête et jette un coup d’œil à ce qui reste visible du miroir et qui lui semble d'abord une autre eau, verticale.
Quelqu'un est là.
Elle y reconnaît la vieille. Encore là.
Elle la regarde dans les yeux. Elle en a peur. Elle a peur de cette présence furtive, qu'elle croise ici tous les jours, sans jamais vraiment s'y attendre. » Page 24

Plus d'information sur le Syndrome Diogène ici, sur le site du Service de psychiatrie et de psychologie médicale  (CHU Angers).

 

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12/10/2014
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