Libre-R et associés : Stéphanie - Plaisir de lire

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Ariane Bois : Sans oublier

Sans oublier  d’Ariane Bois  5/5 (25-02-2013)

 

Sans oublier (252 pages) est sorti le 13 février 2014 aux Editions Belfond.

L’auteur présente son livre  ici 

 

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L’histoire (éditeur) :

 

Lorsqu'elle apprend l'accident qui a coûté la vie à sa mère, une jeune femme voit sa vie exploser. Tout se délite et s'obscurcit dans le ciel de sa mémoire. L'onde de choc atteint ses enfants et son mari. Pour enrayer cette chute libre, il lui faut partir, tenter de se retrouver pour sauver les siens.
Récit d'un crash intime, d'une fugue maternelle sur les traces d'un silence familial, Sans oublier raconte comment, pour devenir mère, il faut d'abord cesser d'être une fille.
Une écriture intense qui réconcilie de façon saisissante la noirceur du deuil et la rage de vivre.

 

Mon avis :

 

« Elle m’a juste dit : « j’ai peur d’avoir froid là-bas, et puis aussi : « quelques jours seulement, ma chérie, c’est promis. » Je me souviens de lui avoir répondu : « fais attention aux pingouins quand tu traverseras la banquise. » Pas drôle, même si, ce matin-là, elle partait en reportage en Sibérie pour le magazine qu’elle dirigeait. J’ai entendu le bruit du combiné que l’on raccrochait. Je parle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaitre, celui où les gens ne communiquaient que par téléphone fixe. Ce téléphone raccroché fut, comme on dit, le dernier signe de vie de ma mère. » Page 11

 

Je suis vraiment contente d’avoir eu la possibilité de lire ce roman. Parce que même si la photo de la couverture est jolie, je ne suis pas certaine qu’il aurait fini dans mon panier. Ce qui aurait été franchement dommage, car l’accroche à eu lieu dès les première lignes et j’ai été du début à la fin sous le charme de ce texte. La force des sentiments et des émotions est tellement intense qu’elle m’a transportée jusqu’aux dernières phrases sans que je vois le temps passer.

 

L’histoire commence un jour de mai, où un sentiment d’angoisse nait chez la narratrice. Un sentiment presque habituel depuis qu’elle est devenue mère mais qui se transforme en terreur lorsque l’Homme allume la radio dans la voiture, et qu’un crash d’hélicoptère transportant des journalistes français près du détroit de Béring  est annoncé. Sa mère, partie quelques jours plus tôt faire un reportage en Sibérie était à bord et fait partie des victimes. Cette brutale nouvelle déclenche alors de manière insidieuse le crash familial et intime de cette jeune femme de 29 ans qui se livre sans tabou mais pas sans émotions. Car au-delà de la douleur liée au deuil (et à toutes les tracasseries qu’elle rencontre pour enterrer sa maman), Sans oublier est l’histoire d’une vie, d’une relation maternelle, de secrets de famille et du besoin d’accepter pour pouvoir avancer.

Même après avoir essayé de digérer la nouvelle (qui lui rappelle en plus sans cesse l’absence déjà pesante de son frère) et le fait que la vie continue (même si la force n’y est plus, et encore moins le plaisir), elle n’arrive pas à faire face aux sentiments qui l’accablent : culpabilité, chagrin, résignation, colère…Elle ne maitrise plus rien, ni son activité professionnelle, ni son rôle d’épouse, ni son rôle de mère, et sombre dans la dépression. Elle prend ainsi conscience, après plusieurs dérapages, qu’elle devient un danger pour son entourage et encore plus pour Camille et Simon, ses petits de 6 et 3 ans. Alors, sur un coup de tête, elle choisit de prendre la fuite pour se retrouver dans un petit village des Cévennes, où une rencontre va lui permettre de renouer avec son passé et avec elle-même, et de se libérer de l’absence.

 

« - Tu ne veux pas retourner au travail ? Glisse-t-il doucement avant de sombrer dans le sommeil. Ce serait mieux, ça te changerait les idées, tu resterais occupée, en attendant…

En attendant quoi ? Le retour de son corps, l’enterrement, une forme d’épilogue social n le début officiel du deuil ?

Il a raison, il a souvent raison. Mais j’erre dans une toundra de chagrin, espérant contre toute logique une erreur, une tragique méprise des Russes, un happy end. » Page 23

« A six ans, ma petite fille, mon amour, m’a déclaré la guerre. Je devrais recréer le cocon qui nous liait. Réapprendre à aimer dans le vide, sans rien espérer d’elle, en attendant que la paix me revienne. Mais la force me manque. Et elle a raison, de me juger, de me détester. Elle me regarde et n’aime pas ce qu’elle voit. Une mère en toc, en chiffon. Alors je bas en retraite, et fais ce que je fais le mieux : dormir. » Page 95

 

Ariane Bois vous happe dans la douleur du deuil avec une fluidité déconcertante. Sans pour autant nous plonger dans un récit larmoyant à la limite du pénible et de la gêne, elle captive avec des mots subtils, puissants et évocateurs qui réveillent autant de colère, d’angoisse et de chagrin que sa narratrice. Chaque page tournée nous fait sombrer davantage dans sa douleur et laisse une étrange impression. Pourquoi cette adulte, qui devrait arriver à faire face et se tourner vers l’avenir (grâce à la présence de l’Homme et de ses petits), n’est plus capable de rien ? Comment en arriver à fuir et tout abandonner ?

 

« Car, voyez-vous, côté deuil, je ne suis pas tout à fait vierge. J’ai enterré mon frère quatorze jours après son vingtième anniversaire. Un météore parti dans l’aube sale. » Page 15

 

Bien que ce récit soit très personnel, je n’ai jamais eu le sentiment de violer l’intimité de la narratrice. Beaucoup de choses m’ont parlée, m’ont touchée, émues et un peu fâchée aussi. L’auteure  arrive avec beauté et force à exprimer des choses difficiles. Elle trouve les mots justes pour raconter comment en restant encore une fille (dans une relation fusionnelle où en plus l’autre partie n’est plus), la narratrice se retrouve dans l’incapacité à trouver sa place de mère et d’épouse. Heureusement, ce coup de tête qui se traduit par une démission (il aurait pu en être autrement) permet au récit de prendre un autre tournant (très passionnant !) et ouvre une brèche vers une possible guérison, en renouant avec ces racines et en levant le voile sur une histoire familiale plus complexe et secrète qu’elle ne pensait. Le dénouement est ouvert mais me laisse un fort goût d’espoir et d’optimisme qui me donne envie de croire en la réussite affective de la jeune femme.

 

Ariane Bois possède une écriture naturelle, énergique et pleine d’image qui m’a beaucoup plu. J’aurais eu envie de tout noter et vous livrer mille et une citations, mais je préfère vous inviter à lire ce roman. Et même s’il est difficile de conseiller ce genre de livre qui traite du deuil et ses conséquences, je peux vous dire que vous passerez un moment intense en compagnie de cette jeune narratrice et que son récit ne vous laissera pas indifférent. 

 

 « Certains mots sont des armes, des bombes au napalm sur une relation. Après plus rien ne peut pousser. » Page 243



08/03/2014
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